L'imagerie cérébrale permet-elle de lire dans l'esprit ?
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1.
Une véritable « neuromanie » semble avoir gagné notre culture. Le cerveau n’est plus envisagé comme un organe que le sujet possède mais comme une entité à laquelle il s’identifie, avec laquelle il se confond. Or, si notre cerveau conditionne bien ce que nous sommes, ce que nous sommes ne se réduit pas à ce que fait notre cerveau pour que nous le soyons. Le cerveau n’est pas quelqu’un.
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2.
L’imagerie cérébrale fonctionnelle (IRMf) doit être comprise comme une image construite et virtuelle, non pas comme une image réelle du fonctionnement cérébral et encore moins une représentation de la pensée. La correspondance établie finalement entre une carte d’activation cérébrale et un état mental résulte de toute une série d’inférences discutables. Croire pouvoir lire directement la pensée dans le cerveau est une illusion, à la fois méthodologique et conceptuelle.
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3.
L’imagerie cérébrale fonctionnelle (IRMf) montre les corrélats de la pensée. Le seul fait de penser, d’évoquer une image mentale, d’imaginer un mouvement, suffit effectivement à entraîner une petite augmentation du débit sanguin et de l’oxygénation du sang dans une ou un ensemble de région(s). On peut donc dire que l’IRM révèle l’action (physique) de l’esprit sur la matière ou, plus modestement, les réseaux cérébraux impliqués dans le processus de pensée.
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4.
Le cerveau n’est pas conscient. Un neurone n’est, en soi, pas plus conscient qu’une cellule cardiaque. Le cerveau lui-même n’est pas plus conscient que le cœur. J’ai besoin d’un cerveau et d’un cœur (entre autres) pour être conscient, mais ni l’un ni l’autre ne le sont (d’eux-mêmes ou de moi). Bien plus, je peux être conscient de mon cœur qui bat alors que je ne peux pas être conscient de l’activité de mon cerveau quand je pense.
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5.
Le cerveau ne pense pas, il conditionne la pensée. Rien ne pense dans le cerveau, ni dans aucun organe particulier. Seule une personne pense, et sa pensée ne peut être comprise hors de tout contexte personnel, culturel, historique et social.
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6.
Le cerveau est le substrat, la condition de la pensée, mais il n’en est pas véritablement la cause. Dans l’ordre de la causalité, il existe un rapport direct et de même nature entre l’antécédent et le conséquent (l’abus d’alcool cause l’ivresse). Dans l’ordre du conditionnement au contraire, le résultat déborde la condition qui l’a rendue possible : l’art de Rostropovitch ne se ramène pas à la qualité de son violoncelle, tout en y étant assujetti.
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7.
L’esprit est le grand absent du cerveau. La conscience, la pensée, l’esprit, ne sont donc pas, par nature, objectivables. L’esprit désigne ce que je dois d'emblée admettre pour que la connaissance soit possible. C'est donc seulement « en creux », sur le mode de l'absence, qu’il peut se laisser appréhender empiriquement, mais, de ce fait, on pourra toujours en nier l'existence en tant « qu’objet ».
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8.
Le cerveau n’est pas la personne, la personne n’est pas un cerveau. Une personne n’est pas réductible à un produit de la nature, même si, organiquement elle en procède. Une personne est d’emblée une personne : elle « n’émerge » pas. Le caractère ontologiquement unique de l’être personnel, son unité en tant qu’esprit impliquent « quelque chose de plus », au plutôt « d’autre », que l’enchaînement causal des déterminismes naturels.
Maître de Conférences Honoraire en Neurosciences (Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis). Ancien Directeur-adjoint de l’Institut d’Enseignement à Distance (IED) de l’Université Paris 8. Professeur associé à l’Institut de Philosophie Comparée (Faculté Libre de Philosophie et de Psychologie).
Documents de référence
« Je te bénis, père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, père, car tel a été ton bon plaisir »
(Lc 10,21)
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commentaire
posté
Ce texte concis me semble parfait et honnête en regard des publications de magazines de vulgarisation souvent scientistes qui nous annoncent chaque année qu'on a réussi à photographier la conscience ... alors qu'ils ne voient que les effets sur les neurones d'activités organiques d'attention; Le jour où on photographiera quelqu'un qui a un "cas de conscience" à résoudre n'est pas encore arrivé ... D'autre part, aucune machine organique et/ou logiciel ne peut avoir cette propriété réflexive qui fait que l'homme sait qu'il sait ... Il est formidable cet esprit humain qui est capable à partir d'une conviction de tenir un discours sensé, à l'aide de mot et de phrases, de sémantique et de syntaxe, transformant une idée qui n'occupe aucune place dans le cerveau en une communication vers d'autres cerveaux qui vont saisir la pensée originelle et l'intégrer dans un espace introuvable au point qu'on peut se demander s'il existe bien encore dans la matière après y avoir cheminé comme signaux provenant des oreilles ou des yeux. Cela n'a pas de sens de dire que la conscience peut augmenter lentement entre 0% et 100%, voire 150%. Mon vieux papa est très conscient de ce qu'il vit mais n'arrive plus à commander ses organes de communication, il a d'ailleurs des anomalies cérébrales sur ces centres moteurs, mais s'il a oublié des mots, il est capable de donner un synonyme ! Et ce qu'il dit est plein de signification d'un état humain très conscient. J'ai beaucoup étudié en tant qu'amateur les expériences sur "l'intelligence animale" en comparaison à ce que fait l'homme. J'y trouve des différences fondamentales, qui ne retirent rien à l'intelligence "machinale" des animaux, mais qui la mettent loin des prémices des facultés de l'esprit humain. C'est aussi l'avis des vrais spécialistes des robots dotés "d'intelligence artificielle" que leur "propriétaire" prennent en affection, comme on prend son chien ou son chat en affection, et qui s'y attachent dito. Ainsi, ce que nous prêtons d'humain aux animaux est de même nature que ce que nous prêterons d'ici quelques décennies à nos robots. Les neuro-sciences servent aux spécialistes des robots humanoïdes, et les psychologues de la relation homme-robot commencent à publier des études très édifiantes. l'Homme "augmenté" va peut-être un jour se fondre psychologiquement avec le robot "augmenté" et il faudra des psychiatres pour régler leurs problèmes (enfin, ceux des hommes car les robots n'aurons jamais "d'états d'âme" si ce n'est les simulacres de discours et de comportements qu'un humain aura programmé pour eux afin de donner le change à leur propriétaire). Mais j'ai confiance, je ne pense pas qu'on édictera un jour une loi d'abolition de l'esclavage des robots...