La spécificité de l'homme ne tient-elle qu'à son cerveau ?
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1.
L’homme est un être singulier dans la nature. Pour certains, il ne serait que la même chose que les autres êtres vivants. Pour de nombreux paléontologues, au contraire, la nature de l’homme s’origine dans l’affranchissement des déterminismes naturels dont procède le comportement animal. Si l’homme est conditionné par ses impulsions naturelles, il n’est pas contraint par elles.
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2.
La parole est le propre de l’homme. Seul de tous les vivants, l’homme est capable, grâce au langage articulé, de donner un nom aux êtres et aux choses. L’expression verbale suppose, outre une différenciation corticale poussée, un ensemble coordonné d’aménagements de la sphère laryngo-pharyngo-buccale et de la ventilation pulmonaire. Le langage ne constitue pas seulement un moyen d’échange d’informations : il transforme totalement le mode d’appréhension du réel par l’homme qui sur ce point se distingue radicalement de l’animal.
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3.
Certes il est possible de transmettre à certains chimpanzés des rudiments de langage humain, mais il ne s’agit évidemment pas de production verbale. C’est l’usage de la langue des signes, de manipulation de jetons symbolisant un concept ou une action ou encore d’utilisation de lexigrammes (sorte de pictogrammes). Les chimpanzés ainsi « instruits » sont effectivement capables, après des centaines de répétitions et plusieurs années d’entraînement d’utiliser de tels signes pour communiquer avec l’expérimentateur. Ils n’ont cependant pas d’eux-mêmes accès à une véritable syntaxe.
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4.
La singularité humaine ne s’explique pas seulement par l’évolution du cerveau. Le cerveau humain se singularise d’abord d’un point de vue quantitatif par l’importance de son volume (relativement à la masse corporelle), le nombre de ses composants et la complexité de leurs arrangements. Les différences avec les singes anthropoïdes restent toutefois modestes et sans rapport avec le développement qualitatif des conduites propres à l’homme et celui de la conscience qu’il a de lui-même.
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5.
Il n’existe pas de relation univoque entre la complexité du cerveau et le niveau des performances cognitives. On a longtemps admis que l’évolution des conduites était directement liée à celle du cerveau. Or, il semble bien que ce ne soit pas toujours le cas. Mais alors, comment interpréter la relative indépendance des performances vis-à-vis du substrat biologique ?
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6.
Il n’y a pas d’humanité dans les neurones du cerveau humain. Une équipe de biologistes américains a récemment annoncé avoir créé une souris dont une partie du cerveau était colonisée par des neurones issus de cellules d'embryons humains. Outre le fait qu’elles auraient de meilleures performances d’apprentissage, les souris ainsi « humanisées » conservent évidemment des comportements de souris.
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7.
Le cerveau humain ne contient rien de proprement humain. Selon le célèbre neurophysiologiste John Eccles « c’est une mesure de notre ignorance que l’on ait pu identifier dans le néocortex aucune structure particulière, ni aucune propriété physiologique par quoi le cerveau humain se distinguerait nettement de celui d’un singe anthropoïde ». De récents travaux semblent pourtant indiquer quelques subtiles différences dans l’organisation du cortex cérébral chez l’homme.
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8.
Si l’humanité de l’homme ne réside dans aucun « composant » neurologique, d’où tient-il alors son humanité ? On répond souvent : de la culture. La production et l’utilisation d’outils constituent, avec le développement conjoint de la fonction symbolique et du langage, un critère décisif de la singularité humaine et de son statut particulier dans la biosphère. Mais la culture elle-même n’est-elle pas le produit des cerveaux ?
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9.
Selon le neurobiologiste Michael Gazzaniga, nous serions la seule espèce croyante et nous tiendrions cette spécificité du fait de la présence dans notre hémisphère cérébral gauche d’un « module interprète », autrement dit, une machine à nous raconter des histoires. Et la première de ces histoires (de ces croyances) serait de nous croire libre. Selon lui, nous serions paradoxalement contraints (par la nature de notre cerveau) de nous croire libres. Mais on peut aussi voir dans cette contrainte une condition naturelle de notre liberté.
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10.
L’homme est corps, âme et esprit. Contrairement à la conception commune qui voit dans le corps et l'âme (matière et esprit ; cerveau et mental) deux composantes de la personne, pour l'anthropologie biblique l'être entier de l'homme comporte l'esprit, l'âme et le corps. À la dichotomie habituelle âme - corps, commune à tous les êtres vivants l'esprit (au sens spirituel et non pas cognitif du terme) s'ajoute pour l'homme d'une manière distinctive.
Maître de Conférences Honoraire en Neurosciences (Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis). Ancien Directeur-adjoint de l’Institut d’Enseignement à Distance (IED) de l’Université Paris 8. Professeur associé à l’Institut de Philosophie Comparée (Faculté Libre de Philosophie et de Psychologie).
Documents de référence
« Je te bénis, père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, père, car tel a été ton bon plaisir »
(Lc 10,21)
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Bref, "L'intellect, seul, entre du dehors et, seul, il est divin, car l'activité corporelle ne possède rien en commun avec son activité" (celle de l'intellect), 736b 29 Aristote, Œuvres complètes, sous la direction de Pierre Pellegrin, Flammarion 2014. Le pape François dans le même sens écrit: "La capacité de réflexion, l'argumentation, (etc), montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative, qui implique le surgissement d'un être personnel dans l'univers matériel, suppose une action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation d'un Tu avec un autre tu" Laudato Si 81.