Le développement du marché de la drogue est par exemple typique de la mise en place d’une forme de « structures de péché »
Il y a au départ des péchés personnels, qui débouchent sur la création d’une demande, puis la mise en place d’un marché, avec des personnes qui l’approvisionnent pour en tirer bénéfice. Plus le marché s’élargit, plus cela devient facile de se procurer de la drogue et d’en consommer. Puis on en vient à changer le cadre moral avec davantage de permissivité. On va dire : « Le cannabis, ce n’est pas bien grave ». Les structures psychosociales évoluent aussi : la drogue devient synonyme de fête, son rôle social s’accroit. Les structures juridiques, le cas échéant, vont alors se modifier : on va dire au niveau législatif qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, on ne va pas mettre les gens en accusation pour ce genre de choses. Et plus les institutions vont évoluer dans ce sens-là, plus il sera facile, évidemment, de devenir consommateur de drogue, et pour certains de rentrer dans ce « business ». Il s’agit typiquement d’un effet boule de neige.
On peut prendre des exemples de structures de péché dans tous les domaines.
C’est très clair au niveau de l’économie lorsque vous avez des structures de domination qui se créent. Regardez les échanges internationaux : on voit comment l’exploitation de la main d’œuvre à bon marché du Tiers-Monde peut conduire à des structures de péché qui déstabilisent des modèles anciens de production et de consommation comportant un bon niveau de solidarité. L’égocentrisme (chacun pour soi)se généralise et facilite la progression des formes d’exploitation. Mais il y a bien d’autres exemples, comme ce qui se passe au niveau familial lorsque l’éducation (politesse, serviabilité, exactitude, obéissance) se relâche : ce relâchement est cumulatif, parce que, plus les parents des copains sont permissifs, plus il devient difficile de ne pas l’être soi-même avec ses propres enfants. La question du « genre », c’est-à-dire la confusion du féminin et du masculin au niveau, notamment, de la parentalité, a de même débouché sur des dispositions législatives et réglementaires qui sont venues renforcer les dérèglements individuels de plus en plus nombreux. Au niveau procréation, la marchandisation de l’humain, qui avait commencé avec le trafic d’organes, a débouché sur un marché de la procréation pour autrui..
Sur le sujet de l’avortement on a bien vu comment une structure de péché s’est progressivement mise en place ...
On a, au point de départ, quelque chose qui est absolument interdit non seulement par notre sainte Mère l’Église, mais aussi par la législation, avec une dureté par rapport aux gens qui était extrême. Il fallait un peu de charité chrétienne, mais ce qui s’est le plus développé c’est une affirmation du droit à faire ce que l’on veut de l’embryon. Là encore, un marché s’est mis en place, qui a grandi en même temps que le processus se diffusait. Quand la diffusion du processus a atteint un certain niveau, on a vu apparaitre des changements législatifs et réglementaires dont le dernier en date est un texte qui réprime toute tentative de dire aux gens qu’il peut y avoir d’autres solutions que l’avortement. On voit bien le développement de la structure normative qui s’est appuyée sur une diffusion des pratiques à la fois au niveau des personnes, des femmes et des hommes qui sont concernés par cela, et au niveau médical.
Au niveau éducatif, on peut noter le même genre de phénomène
En France, notre école est malade du manque de discipline. En moyenne, un professeur ne peut pas enseigner pendant beaucoup plus que la moitié du temps qui est théoriquement consacré à ses heures de cours. Il est enseveli sous ce problème de discipline, avec des élèves qui font tout et n’importe quoi pendant ses cours. Comment en est-on arrivé là ? Au point de départ, les règlements confortaient l’action de « management » d’une classe qui était classique : un élève qui se met à chahuter est réprimandé, puis puni, et le cas échéant renvoyé. Ensuite, les comportements irrespectueux vis-à-vis des professeurs ont augmenté petit à petit, et au lieu de soutenir le point de vue du professeur, beaucoup de parents se sont mis du côté de l’enfant dissipé. Petit à petit, les professeurs ont été de moins en moins soutenus par leur hiérarchie. Le climat s’est dégradé de plus en plus dans les classes et on a réagi de façon démagogique : par exemple, la notation de certains examens, notamment le bac, est devenue une véritable rigolade ... Une série d’évolutions, due au fait que des comportements d’abord minoritaires ont fait tache d’huile, a amené l’institution scolaire à travailler avec une inefficacité considérable. On a là un bon exemple de la façon dont la généralisation de certains comportements individuels fait boule de neige, modifie les pratiques. Ce ne sont pas forcément des pratiques législatives. Il n’y a pas de lois qui vous disent : « Vous devez mettre la moyenne à toute copie dès lors qu’elle comporte une page remplie, fut-ce d’âneries ». C’est dans les faits que cela se passe, plutôt que dans la loi. Mais cette norme sociologique est devenue extrêmement forte.
L’évolution des marchés financiers relève aussi de la mise en place de structure de péché
Jean-Paul II, dans le style habituel des encycliques ou des textes pontificaux, n’a pas toujours désigné les choses de manière très concrète, mais il a pointé quand même à plusieurs reprises le domaine financier. L’Église a toujours assez facilement « attaqué » à ce niveau-là. Le paradigme de l’interdiction de l’usure n’a pas encore complètement disparu des esprits, sous d’autres formes. Il a d’ailleurs une raison d’être : à partir du moment où l’on peut faire un peu tout et n’importe quoi sur les marché financiers, on arrive à des manières de faire qui sont nocives pour la société et pour beaucoup de monde. Or c’est bien un domaine où l’on fait des choses répréhensibles, comme par exemple les emprunts toxiques qui, en France, ont été un moyen de financement pour bon nombre de collectivités territoriales, et certains hôpitaux. Et le processus est toujours le même : un établissement essaye de commercialiser un produit malsain, des responsables locaux heureux de faire croire qu’ils ont trouvé le moyen d’endetter à bon marché leur commune ou leur département mordent à l’hameçon ; voyant que ça marche les institutions financières décident de développer ce marché, et voyant que certains de leurs collègues ont souscrit de tels emprunts de plus en plus d’édiles le font. Certes, dans ce cas, la fin a été la même que celle de la tour de Babel, une catastrophe qui a mis fin à cette pratique désastreuse, mais jusqu’à l’éclatement de la bulle le processus de montée en puissance a été celui des structures de péché. C’est la version française des emprunts immobiliers américains à hauts risques (les « subprimes ») dont le développement fulgurant a provoqué la crise financière, puis économique, des années 2007 et suivantes.
Dans le domaine politique, la mise en place d’une dictature suit en général le même processus
On passe souvent d’un régime un peu décadent à un régime qui a un peu plus d’autorité, puis l’autorité se solidifie, puis les gens en profitent et c’est l’accumulation de ces péchés individuels qui font que l’on arrive à une dictature dure ... C’est la manière dont le communisme s’est mis en place : au début, c’était une idée qui pouvait paraître généreuse, puis il y a Lénine, puis Staline, puis les goulags. Cette mise en place de structures rigides, inhumaines, ne s’est pas faite en un jour, mais par accumulation de petits renoncements ou de petits péchés... Il n’y a pas que le glissement progressif du plaisir, il y a aussi le glissement progressif du totalitarisme.
Le mal des banlieues est encore un très bon exemple de structure de péché
Le mal des banlieues tient à une conjonction de modifications dans les façons d’agir et de penser, de concevoir la vie en société, qui est impressionnante. Au point de départ, il y a la démission des familles, notamment des pères par rapport à leurs enfants, qui se produit dans des milieux où le père est peu instruit. Cela peut être des milieux français, cela peut être encore plus facilement des milieux immigrés où l’enfant va, lui, dans un monde que ses parents ne connaissent pas, qui est tout à fait mystérieux, ce qui donne à l’enfant la possibilité de bafouer l’autorité parentale. Se greffe là-dessus une structure législative et réglementaire qui est adaptée à un monde occidental, mais qui est inadaptée à ce monde-là. Si, comme c’était le cas dans la société patriarcale dont ils étaient issus, le moyen pour les pères de corriger leurs enfants consistait à administrer des fessées, en interdisant les punitions corporelles des hommes politiques mal informés ont brisé tout cela, et ne l’ont remplacé par rien ! On s’est donc retrouvé dans la situation décrite par Platon : les enfants sont irrespectueux vis-à-vis de leurs parents et la société se décompose. Le glissement est progressif à partir d’une accumulation d’actes qui sont à la fois des actes de rébellion des enfants, assez normaux(tout enfant regarde jusqu’où il peut aller), des réactions des parents, et des obstacles mis à ces réactions. Le rôle des parents, notamment du père, est de mettre une barrière et de dire : « Non, là c’est fini. Tu ne peux pas dépasser ce stade-là ». En se multipliant, les occasions d’effectuer ce dépassement ont fini par faire de l’arrogance et du manque de respect non plus une exception mais une règle de vie qui s’enracine et qui devient le mode normal.
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Pierre Dohet
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