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Notre existence a-t-elle un sens ?

Les découvertes scientifiques révolutionnaires du XXème siècle changent notre vision du monde : elles induisent « un réenchantement du monde » qui permet les retrouvailles de la science et de la religion, après deux siècles de séparation.
  • 1. 

    Le problème clé de la modernité, cette crise de sens, que des gens comme Max Weber il y a un siècle ou Marcel Gauchet aujourd’hui appellent « le désenchantement du monde » a été la conséquence du développement de la science du XIXème siècle, qui a conduit à la vision classique d’un monde déterministe tout à fait explicable sans « l’hypothèse de Dieu » (Laplace), et à une « triple humiliation de l’homme » (Sigmund Freud) : avec Copernic, il n’est plus au centre du monde, mais sur une planète qui tourne autour d’une « étoile de banlieue », située au deux tiers du rayon d’une galaxie perdue parmi des milliards de galaxies ; avec Darwin, il n’est plus au centre de la nature, mais seulement un singe un peu amélioré ; avec Freud, il n’est plus au centre de lui-même, parce que son inconscient est plus important que son conscient.

  • 2. 

    Il ne faut pas chercher ailleurs les fondements du matérialisme, de l’oubli de Dieu et de la perte de sens de la société occidentale, car les découvertes scientifiques ont un énorme impact sur les idées qui mènent le monde. Cet impact est souvent différé, le temps que la société prenne conscience des implications philosophiques induites par ces découvertes, mais c’est un impact extrêmement profond, à nul autre pareil, et c’est pourquoi il est si important de réaliser aujourd’hui combien les avancées scientifiques du XXème siècle dans tous les domaines du savoir ont rebattu les cartes et changées radicalement les données du problème des rapports de la science et de la religion.

  • 3. 

    Dans le domaine de la Matière, la physique quantique a balayé la prétention de Laplace et des positivistes d’imaginer pouvoir tout expliquer par un modèle déterministe et matérialiste : on sait aujourd’hui par le principe d’incertitude d’Heisenberg qu’il y a une limite absolue à la connaissance que l’on peut avoir du monde qui nous entoure (on ne peut déterminer avec précision en même temps la vitesse ET la position d’une particule), et on sait par l’expérience de la communication instantanée de deux particules distantes (la non-séparabilité, ou paradoxe EPR) qu’il existe une réalité au-delà de l’espace-temps : l’univers ne s’explique pas par lui-même, il n’est pas ontologiquement suffisant.

  • 4. 

    Dans le domaine de l’Astrophysique, l’idée d’un Univers éternel a été abolie par la découverte du Big Bang qui repose aussi la question de Dieu à la fois parce qu’il y a un moment où il n’y avait ni temps, ni espace (d’où vient l’Univers ?) et parce qu’on a pu calculer que si la vie était possible, ce n’était que parce que la quinzaine de constantes et les lois physiques qui régissent l’Univers sont réglées d’une manière incroyablement fine (qui a réglé cela ?).

  • 5. 

    Dans le domaine de la Neurologie, la vision d’un homme conditionné seulement par ses neurones et la chimie de son cerveau d’où émergerait la conscience est remise en question par certaines expériences qui montrent qu’il y a une liberté irréductible de l’esprit qui s’exerce « au moins sous la forme du veto » (Benjamin Libet) : notre conscience n’est pas réductible en totalité à des processus neuronaux.

  • 6. 

    Dans le domaine des Sciences de la vie, la découverte de cas de reproductibilité de l’évolution, comme par exemple la génération des éléments d’un œil « caméra » comme le nôtre chez toute une série d’animaux dont l’ancêtre commun n’avait pas d’œil du tout impose l’idée d’une canalisation de l’évolution vers des formes fonctionnelles qui seraient « prédéterminées depuis le big-bang » selon un paléontologiste comme Simon Conway Morris. Dans cette conception de l’évolution la structure des grands types d’êtres vivants serait inscrite dans les lois de la nature, l’adaptation darwinienne ne faisant que «peaufiner » les détails. Notre apparition s’inscrirait donc dans un processus en partie prédictible.

  • 7. 

    Enfin, dans le domaine des Mathématiques, le théorème de Gödel impose aussi une nouvelle vision du monde en démontrant que tout système logique humain cohérent est forcément incomplet et que la notion de vérité est plus vaste que la notion de démonstrabilité, pointant ainsi vers l’existence d’un « monde des objets mathématiques » avec lequel l’esprit humain pourrait rentrer en contact.

  • 8. 

    L’assimilation progressive par nos sociétés des découvertes fondamentales que sont ces principes d’incertitude, d’incomplétude, d’imprédictibilité va changer radicalement notre vision du monde : une révolution conceptuelle imposée par la science elle-même est en marche, et en ouvrant le « champ des possibles», elle est susceptible de conduire à un réenchantement du monde pouvant avoir un énorme impact sur le destin de nos sociétés.

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commentaires

postés

Franck 23/08/2017 05:29

Merci pour cette synthèse remarquable et lumineuse!

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Pascal 08/07/2017 12:01

Les articles de Jean Staune, toujours passionnants et instructifs, nous aident à réfléchir. J'ai relevé juste une petite erreur : le 21ème siècle ne commence pas en 2000 mais en 2001

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Philippe 29/06/2017 09:31

C'est un détail, mais cela vaut d'être relevé. Malgré la légende, il semble que Laplace n'était pas athée. Sa réponse à Bonaparte était une critique d'un point de l'ouvrage célèbre de Newton et aurait porté sur l'intervention divine et non sur l'existence de Dieu. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Simon_de_Laplace#L.27existence_de_Dieu

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Pierre 21/06/2017 14:17

l'on peut liExcellente étude sur notre existence. A ce sujet, je vous invite à lire le livre écrit par Grant R.Jeffrey dont le titre s'intitule " LA SIGNATURE DE DIEU". Personnellement, ma lecture se résume aux Ecritures Saintes. Ce livre concentre des affirmations scientifiques trouvées dans la Bible, reconnues aujourd'hui et prouvées. Des évènements de l'exode relatés dans des inscriptions antiques retrouvées au mont Sinaï. Ce livre porte l'ISBN 2-911069-14-5 aux Editions VIDA - Editions Ministères Multilingues. A lire absolument si on veut s'éloigner des âneries que re parfois.

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Gaspar 21/06/2017 11:40

Encore une fois, Jean STAUNE nous donne la preuve de son très remarquable talent à synthétiser les résultats scientifiques les plus importants et les confronter aux grandes interrogations spirituelles de notre temps. Et il réussit, en convoquant ainsi la Science, à effectivement "réenchanter" le Monde , qui en a bien besoin, pris comme il est dans le filet de la dialectique matérialiste.

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La réponse de Jean Staune

Philosophe des sciences et essayiste, Jean Staune, né en 1963, est diplômé en paléontologie, mathématiques, gestion, sciences politiques et économiques. Ancien collaborateur scientifique de l'Ecole Polytechnique de Lausanne, aujourd'hui chargé de cours à HEC, il est également secrétaire général de l'Université Interdisciplinaire de Paris.

Ses livres
  • La Science en otage (Presses de la Renaissance, 2010)
  • Au-delà de Darwin (Actes Sud, 2009)
  • Notre existence a-t-elle un sens ? (Presses de la Renaissance (2007)
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