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Les chrétiens d'Orient vont-ils disparaître ?

La crise du Moyen Orient est le produit combiné de responsabilités locales (enjeux énergétiques, lutte entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, radicalisation de l’Islam) et étrangères (ingérences occidentales). Dans ce contexte, les chrétiens disparaissent, même s’il existe quelques raisons d’espérer.
  • 1. 

    Le Moyen-Orient est au centre du monde et il fait la Une de l’actualité en permanence avec le conflit israélo-palestinien qui dure depuis 65 ans, 10 ans de guerre entre l’Irak et l’Iran dans les années 80, les « guerres du Golfe » et aujourd’hui l’émergence de l’État Islamique depuis l’été 2014 avec la prise de Mossoul. Cela provoque un exode de 1,3 millions de personnes dont 125 000 chrétiens qui ont fui vers Erbil, la capitale du Kurdistan, ayant tout perdu en quelques heures, pour ne pas renier le Christ. L’AED essaie d’aider pour la nourriture, les logements et les écoles. La Syrie est également plongée dans la guerre depuis 2011, et cela a aussi suscité un exode massif qui crée des problèmes insolubles. Pourquoi tout cela ? Il faut distinguer deux responsabilités : la responsabilité locale et la responsabilité étrangère.

  • 2. 

    En ce qui concerne la responsabilité locale, force est de constater tout d’abord que nous assistons aujourd’hui à une radicalisation de l’Islam qui diminue la possibilité même du « vivre ensemble ». Cet Islam radical, l’Islam sunnite wahhabite pratiqué en Arabie Saoudite et au Qatar, est en train de supplanter tous les autres Islams qui existaient avant, financé par les pétrodollars. Mais l’Islam se radicalise aussi parce qu’il est en crise : 1°/ par rapport à la modernité, 2°/ par rapport à la mondialisation, et 3°/ de manière plus surprenante, à cause de l’attraction du christianisme et des très nombreuses conversions dans le monde musulman. En réaction à cela, les islamistes, qui sont dans une impasse, recourent à la violence et à un retour fantasmé à la « gloire » des origines. L’instauration du mode de vie en vigueur dans la première communauté musulmane de la péninsule arabique au 7ème siècle est l’objectif et l’horizon indépassable de ces extrémistes.

  • 3. 

    Deuxième responsabilité locale : la guerre entre Sunnites et Chiites, qui n’est pas réellement une dispute doctrinale mais bien plus une lutte à mort entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour la suprématie régionale. Pour briser l’arc chiite (Iran, Irak, Syrie (Alaouites) et Liban (Hezbollah) qui le menace, l’Arabie Saoudite cible le « maillon faible », à savoir la Syrie dont la majeure partie de la population est sunnite. Objectif : renverser Bachar el Assad pour mettre les Sunnites au pouvoir, d’où la guerre en Syrie.

  • 4. 

    Troisième responsabilité locale : le projet de gazoduc qatari qui devait alimenter le marché européen en passant par la Syrie. Le refus de la Syrie (conditions insuffisantes, volonté de ne pas nuire à son allié la Russie (dont l’Europe est très dépendante pour le gaz) a provoqué la guerre dès le lendemain de ce refus. Objectif là aussi : renverser Bachar !

  • 5. 

    La responsabilité étrangère est également incontournable : les « guerres du Golfe » (1991 & 2003) sans oublier l’embargo anglo-américain entre les deux opérations (on estime à 500.000 le nombre d’enfants irakiens morts en 12 ans faute d’accès à des médicaments et à une nourriture suffisante – j’appelle cela un génocide) ont évidemment gravement nui à l’Irak. Les dix années d’occupation (2003-2013) n’ont rien arrangé.

  • 6. 

    Il semble aussi qu’il existe un plan israélo-américain de redécoupage du Moyen-Orient basé sur la constitution de zones mono-ethniques et mono-religieuses. Cela conforterait Israël qui se veut un Etat juif (basé sur une religion) et faciliterait le contrôle de la région par les Etats-Unis dont la puissance ne serait plus contrariée.

  • 7. 

    Enfin, il y a l’alignement systématique de notre politique au Moyen-Orient sur celle des Saoudiens et des Qataris, ce qui explique notre acharnement à renverser Bachar, alors que notre intérêt serait bien au contraire de stabiliser la Syrie, si l’on voulait lutter contre l’Etat Islamique et surveiller nos propres djihadistes sur le terrain. Pourquoi ce suivisme ? Il n’y a que trois explications possibles : 1°/ on a besoin de leur pétrole et de leur gaz. 2°/ on a besoin de leur vendre des armes. 3°/ ces pays-là détiennent une partie croissante de notre dette. On est donc liés !

  • 8. 

    Veut-on vraiment en finir avec l’État Islamique ? Si on voulait résoudre le problème, il faudrait exiger de la péninsule arabique et de l’Occident qu’ils cessent de soutenir les djihadistes rassemblés dans le nord-est syrien, il faudrait exiger de la Turquie qu’elle cesse son double jeu (vente du pétrole de l’EI) et il faudrait réunir autour de la table tous les acteurs de cette crise, y compris les Iraniens, les Russes et le régime syrien. Comme rien de tout cela n’est fait, la guerre va continuer, nos djihadistes vont continuer à y aller et en revenir, les chrétiens vont continuer à disparaître et l’ensemble de la population locale va continuer à souffrir !

  • 9. 

    Des raisons d’espérer malgré tout ? 1°/ l’Espérance est une vertu théologale, 2°/ la guerre va bien finir un jour car ce niveau de violence ne peut pas durer, 3°/ il y a de plus en plus de conversions au christianisme, 4°/ il y a paradoxalement de plus en plus de chrétiens (étrangers) dans cette région du monde et les églises de la Péninsule arabique sont archi bondées. Une cathédrale est actuellement en construction au Bahreïn ! 5°/ tôt ou tard, l’Islam va devoir se réformer sous peine de s’effondrer car il est gangréné par ses extrêmes, 6°/ on assiste au réveil des musulmans modérés, en Egypte par exemple où des dizaines de millions d’Égyptiens (la plupart musulmans) sont descendus dans la rue pour exiger de l’armée qu’ils les débarrassent des Frères musulmans. 7°/ l’Égypte est aujourd’hui une source d’espérance : au-delà du contrat des Rafales, c’est le dernier obstacle à une continuité territoriale djihadiste qui va du Moyen-Orient à la bande sahélo-saharienne (allégeance de Boko Haram à l’EI). Elle est aujourd’hui sous tension mais elle peut aussi aider à changer la face du Moyen-Orient.

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commentaires

postés

Tagheu Jean-Paul 26/11/2019 22:37

Merci pour cette belle analyse. J'y ai beaucoup appris

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cdne 05/10/2017 04:08

En ce qui concerne l'irak , je pense que Qaraqosh et sa région deviendront le refuge des Chrétiens de ce pays . Une force internationale sous l’égide de l'onu devrait les proteger comme les autres minorités yézidies , mazdéens. etc... La guerre des ressources fait également rage dans cette partie du monde . les Russes via la société Rosfnet seraient devenus le principal bailleur de fonds du Kurdistan avec un projet de pipeline concernant le gaz . https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-kurds-referendum-russi/russia-becomes-iraq-kurds-top-funder-quiet-about-independence-vote-idUSKCN1BV1IH

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Odon 23/09/2017 06:56

Merci cher Marc de cette analyse qui n'oublie pas que Ciel et terre sont unis en ce combat ultime car derrière Daesh le Malin se cache comme il se cache derrière les États qui défient Dieu et Sa création Le diviseur et l'assassin croit gagner mais partout dans le monde la résistance s'organise y compris celle de la nature qui gémis d'être dégradée par cette avidité ces guerres .... UDP

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bubbleRight aleteia Marc Fromager
La réponse de Marc Fromager

Marc Fromager est ancien Directeur de l’AED (Aide à l’Eglise en Détresse) en France. Né en 1968 à Nouméa, père de six enfants, il a vécu vingt ans à l’étranger et travaille depuis vingt-quatre ans pour l’Eglise. Ancien rédacteur en chef de la revue L’Eglise dans le Monde, il est l’auteur de nombreux articles sur les chrétiens persécutés, chroniqueur sur plusieurs radios chrétiennes et conférencier.

 

Ses livres
  • Prier 15 jours avec le Père Werenfried - Nouvelle Cité, 2010
  • Chrétiens en danger, vingt raisons d’espérer – EdB, 2013
  • Contribution au Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde – XO Editions, 2014

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