L’enseignement de l’Église est tout à fait constant sur Adam et Ève et le péché originel, même si tout n’a pas encore été dit
Le péché originel est affirmé extrêmement nettement dans l’enseignement de l’Église à toutes les époques. Le concile d’Orange en 529 lui a donné sa forme définitive. Mais, pendant longtemps, bien sûr, on ne se posait pas le problème scientifique des origines de l’espèce humaine. C’est avec Pie XII, dans Humani Generis, que l’on commence à affronter la question de l’évolution et du monogénisme. Par exemple : est-ce que la foi chrétienne amène à penser nécessairement à un couple unique à l’origine de l’humanité ? Pie XII dit assez justement : « On ne voit pas, nous, comment on peut affirmer, de fait, l’unité de l’expérience humaine et à la fois sa vocation universelle, la chute et la rédemption, si on n’a pas la vision d’une humanité génétiquement unie ». Il laisse une porte ouverte pour une hypothèse qui permettrait de concilier les deux. Vatican II parle du péché originel, mais n’évoque pas la question de son historicité. Par contre la profession de foi de Paul VI est assez claire là-dessus : elle affirme cet acte comme venant d’Adam et Ève. Cette constance de l’enseignement sur la question est impressionnante, alors qu’il y a eu des périodes où l’on s’en serait bien passé. L’Église a toujours voulu affirmer qu’il y a eu un acte concret de posé par deux personnes, que ceci est au départ de l’aventure humaine et concerne toute l’humanité. On pourrait peut-être aller un peu plus loin dans l’affirmation du monogénisme, mais l’Église est prudente. L’Église ne dira jamais qu’il n’y a pas eu de péché originel : elle se renierait elle-même. Mais il se peut que l’on arrive à expliquer autrement l’historicité du péché originel que par le monogénisme. On verra. Mais en tout cas, il faut pouvoir maintenir qu’au départ de la condition humaine, il y a un acte historique posé par des personne concrètes (exactement comme la Rédemption sur la Croix fut l’œuvre d’un homme concret). C’est cela qui est affirmé. On le garde.
Le prêt à intérêt inégal a été justement condamné, mais il n’y a pas de problème avec le prêt à égalité qui s’apparente à un contrat
Il est plus simple de résoudre la question du prêt à intérêt, dans la mesure où, dans les sociétés anciennes (et encore au Moyen Âge), le prêt à intérêt était le prêt inégal, dans lequel on prête à quelqu’un qui est en difficulté économique et à qui on impose des conditions qui, même si elles ne sont pas proprement usuraires, aggraveront sa précarité. C’est ce que l’Église interdit. À partir du moment où apparaît le prêt à égalité, si l’on peut dire (le prêt commanditaire, en gros), où l’un apporte son travail, l’autre son capital pour faire une entreprise qui va rapporter, c’est un contrat d’association qui est permis. C’est le côté inégal du prêt à intérêt, finalement, qui a été condamné.
La liberté totale qui met sur le même plan l’erreur et la vérité, reste extrêmement dangereuse mais la liberté est aussi une condition fondamentale de la foi, comme Jean-Paul II l’a fortement rappelé
Sur la question des droits de l’homme et de la liberté de conscience, la première riposte du pape Pie VI au début de la Révolution n’est pas inintéressante. Il ne se place pas au point de vue du régime politique (démocratie contre monarchie ou l’inverse). Ce qu’il attaque, c’est d’abord la prétention de l’État à vouloir réglementer la vie de l’Église ; cela est clair. La Constitution civile du clergé ne peut être acceptée d’un point de vue catholique. Deuxièmement, ce qu’il voit de répréhensible dans la Déclaration des droits de l’homme, c’est l’affirmation que la vérité puisse être mise sur le même pied que l’erreur et qu’on croie tout homme capable de faire le tri, alors que la faiblesse humaine peut appeler la nécessité d’une autorité tutélaire, comme on le voit dans la famille.
Les papes du XIXe siècle resteront fidèles à cette ligne, en soulignant la nécessité pour l’État de défendre la vraie religion, jusqu’à paraître réactionnaires dans un monde qui évolue vers la laïcité.
Leur résistance n’est pourtant pas sans signification : en soulignant que la liberté de l’homme pécheur n’est pas totale, qu’elle doit être éduquée, que l’homme n’est pas une réalité abstraite, mais qu’il fait partie d’un réseau de solidarités qui l’aide à grandir, ils contribuent à approche positive de la liberté de conscience, que développera par la suite le pape Jean-Paul II. Vatican II assume le passage à une société où l’Église ne demande aucune protection particulière, comptant sur la force de la vérité pour développer son enseignement.
La liberté de la presse et la liberté d’opinion ne sont pas des absolus et la vision critique que l’Église a pu en développer est plus utile que jamais
On cite aussi souvent l’exemple de la liberté de la presse ou de la liberté d’opinion que de nombreux documents pontificaux ont l’air de condamner: est-il vrai qu’un cadre protecteur soit mieux adapté à la vie d’une chrétienté que le libre-échange des idées ? On peut le croire quand on voit les courants hostiles au christianisme qui s’efforcent de saper la foi dans le cœur des petits. Mais de toute façon, nous en sommes pas en mesure de réclamer un droit exorbitant dans la société pluraliste qui est la nôtre. Le grand avantage de la position critique de l’Église, c’est d’avoir permis de décaper la défense des droits de l’homme d’une vision réductrice : en mettant au cœur la liberté religieuse, les papes du XXe siècle ont fait des droits de l’homme une formidable parade à toute prétention de l’État de régir les consciences. C’est le rappel qu’il y a bien une nature humaine qui n’est pas livrée à l’arbitraire des législations.
Pour l’esclavage, on peut regretter qu’il n’y ait pas eu de prise de position avant les condamnations de Léon XIII au XIXe siècle, mais jamais l’Église n’a justifié ces traitements inhumains
Léon XIII a tiré la sonnette d’alarme, mais évidemment, on pourrait se dire que la réaction est bien tardive (fin XIXe siècle), qu’elle aurait dû venir plus tôt, au moment où l’esclavage profitait à des chrétiens... Les historiens expliquent que l’esclavage, dans les sociétés antiques et jusqu’aux temps modernes, allait de pair avec un certain état de la société où l’on manquait tout simplement de forces de travail. Lorsqu’on a eu de nouvelles sources d’énergie avec la vapeur ou l’électricité, un certain nombre de problèmes se sont trouvés résolus, tandis que le manque d’énergie productrice faisait que le travail humain remplaçait, pour une part, ce qu’ensuite on a ensuite demandé la technique. On a beaucoup dit que, si l’esclavage antique avait pu disparaître, c’est surtout parce qu’on avait trouvé une manière d’atteler le cheval beaucoup plus efficace. C’est certainement vrai, mais l’esclavage n’en est pas moins un mal. L’attitude de l’Église depuis saint Paul n’a pas été de contester la réalité trop répandue à l’époque, mais d’essayer de l’humaniser et de faire évoluer les rapports maîtres/esclaves jusqu’à une forme d’égalité. À terme, cette évolution a fait s’éteindre l’esclavage antique, car si le maître et l’esclave sont égaux devant Dieu, il est difficile de prôner l’esclavage dans toute sa rigueur et de faire de l’esclave un simple bien marchand. Ce qui a fait repartir l’esclavage au XVIe siècle, c’est, paradoxalement, Las Casas, qui en voulant défendre les Indiens, a proposé, pour faire tourner les plantations et les mines, de « faire venir des nègres », attendu qu’ils sont plus solides. Las Casas, que tout le monde considère comme un grand défenseur de l’humanité, est – indirectement, certes – pour beaucoup dans la traite des Noirs. Cette histoire n’est pas à l’honneur des chrétiens. Mais la constance de l’enseignement de l’Église n’est pas là en cause, car elle n’a jamais justifié l’esclavage (à l’inverse d’Aristote et de la plupart des penseurs de l’antiquité).
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Le Pape Eugène IV condamna explicitement l'esclavagisme par son encyclique "Sicut Dudum" de 1435, ainsi que Paul III (encyclique "Veritas Ipsa, Sublimis Deus") en 1537 puis Grégoire XVI en 1839) (encyclique "In supremo apostolatus fastigio")...
"Pour l’esclavage, on peut regretter qu’il n’y ait pas eu de prise de position avant les condamnations de Léon XIII au XIXe siècle". quid de Grégoire XVI: est l'un des papes qui demandera avec force l’abolition de l’esclavage. (Constitution In supremo apostolatus fastigio du 3 décembre 1839, voir Denzinguer 2745).