Pourquoi est-il si compliqué de comprendre la laïcité ?
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1.
En 2013, le Conseil constitutionnel a défini la laïcité comme association de 1°) la neutralité de l’État, nécessitée par 2°) l’égalité des citoyens qui impose qu’aucun culte ne soit reconnu et 3°) la liberté de conscience. Cette définition correspond à une conception de la laïcité qu’on peut qualifier de libérale, où l’essentiel est de garantir au citoyen la liberté face à l’État. Elle a été pensée en France par les républicains de la fin du XIXe siècle, reprenant la pensée des Lumières et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle est liée à l’idée de la démocratie libérale, qui considère qu’aucun critère transcendant ne peut s’imposer à la volonté populaire qui fait la loi, et que l’homme s’accomplit pleinement comme citoyen, donc dans la vie politique.
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2.
Ces deux idées (souveraineté absolue du peuple et accomplissement dans et par le politique) entrent en conflit avec l’idée catholique que Dieu est le souverain ultime et que l’accomplissement de l’homme ne se fait vraiment qu’en lui. La vision catholique conteste donc la laïcité française sur deux points : 1) la souveraineté du peuple doit se soumettre à la loi naturelle, ce qui autorise l’Église à intervenir dans la vie publique sans pour autant déterminer la législation ; 2°) l’État ne peut intervenir en matière religieuse.
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3.
Ces deux visions ne sont pas tout à fait compatibles, mais les représentants de la République et les autorités catholiques s’abstiennent aujourd'hui d’insister sur leurs divergences, tout en sachant qu’elles existent. La France a finalement réussi à s'accommoder de ces désaccords depuis 1905.
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4.
À côté de la laïcité libérale, qui s’est imposée en 1905, existe une conception de la laïcité qui est portée par les libres penseurs. Elle met en avant non la liberté de conscience, mais la liberté de pensée. Cette conception de la laïcité est opposée aux religions et veut réduire leur place dans la société. Elle s’affirme régulièrement dans le débat public.
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5.
La laïcité peut aussi être identifiée à la laïcisation de la société, c’est-à-dire à ce que les sociologues et historiens appellent la sécularisation : le recul de l’emprise des institutions religieuses sur les sociétés. Ce phénomène s’est accéléré depuis les années 1960. Il ne signifie pas la fin des appartenances religieuses, mais plutôt que leurs manifestations sont désormais plus visibles. En effet, le recul de la place sociale de la religion conduit ceux qui organisent leur vie selon leurs croyances à être plus démonstratifs.
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6.
Cette sécularisation accentuée, qui entraîne une manifestation plus nette des appartenances religieuses, et le contexte géopolitique actuel (djihadisme) conduisent en réaction à une affirmation plus insistante de la laïcité des libre-penseurs. Cela conduit aussi à tenter de changer le sens de la laïcité juridique, afin de faire que la société soit neutre comme l’est l’État. Mais cela réduirait alors la liberté de conscience, qui consiste aussi à manifester visiblement ses convictions.
Paul Airiau, docteur et agrégé en histoire, diplômé de l'IEP Paris, est enseignant d’histoire à l'Académie de Paris. Il a travaillé sur le catholicisme antimoderne et est l’auteur de L’Église et l’Apocalypse du XIXe siècle à nos jours (Berg International, 2000) et L’antisémitisme catholique aux XIXe et XXe siècles (Berg International, 2002).
Documents de référence
« La politique est la forme la plus haute de la charité, car elle cherche le bien commun »
(Pape François)
modérateur du thème :
Pierre Dohet
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commentaires
postés
Prétendre participer à un débat démocratique, Livre Saint à la main (que ce soit Bible ou Coran), ne revient-il pas à se doter d'arguments extra ou supra rationnels (sinon supérieurement inspirés) dont ne disposent pas les malheureux non croyants ? N'est-ce pas une flagrante rupture de l'égalité démocratique entre citoyens théoriquement égaux en droits et censés devoir dialoguer à armes égales ?
Je refute cette analyse qui stipule que la laïcité soit en désaccord avec le catholicisme. C'est tout le contraire. Le christianisme est la seule religion qui a CONSACRE la laïcité grâce à la séparation qu'il a introduit entre le pouvoir d'état et le religieux par la célèbre formule du Christ: rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Je vous conseille le livre mieux informe9de la question de Jean Luc Marion, academicien: " brève apologie pour un moment catholique" chez Grasset .
Bonjour, merci pour cet article pertinent. D'ailleurs, est-il vrai que le catholicisme est à l'origine de la laïcité (vers le 4è siècle et repris par la suite par "les lumières"). De plus, ne parle-t-on pas des laïcs au sein de l'Eglise?