Fondamentalement, plusieurs raisons s’opposent à la « double appartenance ». La franc-maçonnerie possède toutes les caractéristiques d’une religion, éventuellement athée, ce qu’assument certains auteurs bien que d’autres s’en défendent ; elle est aussi dogmatique et ses dogmes dont la « tradition primordiale » sont incompatibles avec la foi chrétienne ; sa vision d’un monde soumis à deux forces en concurrence en fait un dithéisme manichéen ; elle considère la vérité comme une construction humaine, évolutive et subjective.
La franc-maçonnerie comme religion
Bien qu’elle s’en défende, peut-être à des fins de non contradiction avec le principe de laïcité qu’elle veut revendiquer, la franc-maçonnerie est une religion. L’athéisme ne saurait affranchir certaines obédiences ou loges de cette caractérisation, le concept de religion s’appliquant même en l’absence de foi en un Dieu. Il ne suffit pas de nier une évidence pour transformer une réalité. Car tout d’abord la franc-maçonnerie n’est pas autre chose qu’un système de pensée, ou même de croyance, métaphysique et religieux :
- métaphysique car elle propose une conception de la vérité ultime (même si elle l’estime inaccessible, cette qualification est déjà, par elle-même, une conception métaphysique de la vérité)
- religieux car elle re-lie (de la racine étymologique du mot « ligare ») ses adeptes
Par ailleurs la franc-maçonnerie possède toutes les caractéristiques d’une religion, concept qui se définit par l’assemblage d’un faisceau d’indices, tant « dans les sciences de la religion, il y a place et matière à définitions multiples, donnant à voir emboîtements et complémentarités » (Régine Azzia, Avant-Propos, Dictionnaire des faits religieux).
- Un mode d’appartenance initial : l’initiation maçonnique (le baptême est une initiation chrétienne)
- Des rites (l’Église possède des liturgies et des rites)
- Des cérémonies (l’Église possède des cérémonies. Tel est le cas par exemple des obsèques, lorsqu’une obédience propose « une tenue funèbre » lors décès d’un franc-maçon)
- Un idéal commun (par exemple, le bonheur réalisé sur terre, de l’humanité, ou la profession de foi de l’Église en le salut et la vie éternelle)
- Des adeptes (la franc-maçonnerie est composée d’initiés, quand l’Église l’est de fidèles)
- Un lien régulier entre ces adeptes (les tenues maçonniques sont obligatoires ; l’Église propose à ses fidèles des offices et la messe).
Il faut ajouter que de nombreuses obédiences croient en un Grand Architecte de L’Univers (en écriture maçonnique, le G.°.A.°.D.°.L.°.U.°. ).
Au-delà de ces critères qui permettent une tentative d’approche du concept, il faut noter qu’une religion peut se définir en l’absence même de toute référence à Dieu : « Dans notre étude […] née uniquement de l’intérêt passionné que l’auteur a pris au spectacle d’une religion athée, et d’un athéisme qui veut atteindre l’absolu » (Henri Harvon, Le Bouddhisme, P.U.F, 2005, p.6).
En réalité le phénomène religieux peut également s’appréhender tout simplement comme la participation commune à une recherche existentielle, comme c’est le cas de la franc-maçonnerie, qui se définit comme association philosophique : « la religion peut être comprise comme une manière de vivre et une recherche de réponses aux questions les plus profondes de l’humanité, en ce sens elle se rapporte à la philosophie » (Jean Grondin, La philosophie de la religion, P.U.F, 2009, p.3-6).
Les francs-maçons qui reconnaissent leur religiosité
Bien plus, certains francs-maçons, et non des moindres, délaissant les approximations hasardeuses et les postures intellectuelles ambiguës, ce en quoi il faut leur rendre hommage, décrivent explicitement la franc-maçonnerie comme une religion à part entière. C’est ainsi que les Constitutions d’Anderson, qui sont le fondement de la franc-maçonnerie, pour ne pas dire de toutes les franc-maçonneries, précisent dans leur article 1er, c'est-à-dire avec toute la force et la pertinence d’une introduction de principe qu’« il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de soumettre [les francs-maçons] seulement à cette religion [la franc-maçonnerie] que tous les hommes acceptent » (Constitution d’Anderson, 1723, article 1er).
Par ailleurs, Oswald Wirth, auteur franc-maçon éminemment érudit et spécialiste de la franc- maçonnerie, notamment dans son aspect occulte, pose la question clairement : « reste à savoir si la franc-maçonnerie est, oui ou non, une religion » (Oswald Wirth, La franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, Tome « Le Maître », éd. Dervy 1977, p. 41). Et l’auteur de référence y répond sans ambiguïté : « Ayons le courage de nous dire religieux et de nous affirmer apôtres d’une religion plus sainte que toutes les autres. Propageons la Religion de la République (en italique dans le texte) qui formera le cœur des citoyens […] nous sommes appelés à exercer, chacun en notre sphère, une prêtrise ».
Un autre auteur précise que « la franc-maçonnerie apparaîtra de plus en plus comme la seule religion digne des hommes (Albert Antoine, cité par G.Serbanesco, Histoire de la franc-maçonnerie universelle, vol.III éd. Demange Paris 1966, p.27). Enfin, Albert Pike, Grand Commandeur américain du Rite Écossais Ancien et Accepté précise la nature religieuse, par l’essence même de son enseignement, de la franc-maçonnerie : « La maçonnerie enseigne et a conservé […] les principes fondamentaux de la vieille foi primitive, qui sont les vases sur lesquels s’appuie toute religion » (A.Preus, Étude sur la franc-maçonnerie américaine, p.45).
On ne peut appartenir à deux religions
Or si comme nous pensons pouvoir le soutenir, la franc-maçonnerie est bien une religion, ce qui par principe n’aurait d’ailleurs rien de critiquable, bien au contraire, nous sommes contraints d’en conclure que nul ne peut appartenir à deux religions différentes, voire, comme en l’espèce divergentes, et sans doute pour certaines obédiences dont nombre de membres sont athées et anticléricaux (pour ne pas dire anticatholiques), antinomiques : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre ». (Matthieu 6, 24)
Il est important de relever que d’une part l’adhésion à la franc-maçonnerie relève d’un engagement solennel. C'est-à-dire d’une décision lucide et sincère. Et que la profession de sa foi en Christ répond à une sincérité et à un total don du cœur ! On ne peut donc pas s’engager sur deux chemins divergents. Et encore moins y demeurer !
Un chrétien convaincu et dont le cœur est profondément offert au Christ ne peut donc être en même temps un franc-maçon sincèrement engagé.
L’incompatibilité des dogmes
Bien qu’elle veuille également s’en défendre, la franc-maçonnerie est dogmatique. Elle affirme ainsi plusieurs dogmes, parmi lesquels celui de « la Tradition Primordiale », de l’a-dogmatisme comme moyen d’accès à la vérité, et de l’inaccessibilité de la vérité.
Qu’elle le conteste ou non (comme pour ce qui de sa nature religieuse) la franc-maçonnerie est dogmatique. De même que l’est l’Église. Précisons que pour cette dernière les dogmes catholiques sont « des lumières sur le chemin de notre foi, qui l’éclaire et le rendent sûr » (Catéchisme de l’Église Catholique n° 89). La franc-maçonnerie évoque elle le dogme comme une expression au mieux superstitieuse, voire péremptoire, limitative et autoritariste, principalement s’agissant de ceux de l’Église Catholique, si l’on relie la période de rédaction des statuts de la plupart de obédiences, notamment celle du Droit Humain, à l’actualité anticléricale et anticatholique de l’époque. C’est ainsi que la franc-maçonnerie se voudrait a-dogmatique, afin d’accueillir des membres de toutes confessions (on se demande bien comment cela serait possible sans un tiédissement de la foi, au regard de ce qui a été développé précédemment, et en particulier au dernier paragraphe).
Le dogme de la « Tradition Primordiale »
Comme nous l’avons constaté, la franc-maçonnerie croit en une Tradition Primordiale à l’origine de toutes les religions. Or cette croyance n’est rien d’autre qu’une affirmation dogmatique. Respectable en tant qu’idée humaine. Erronée sans aucun doute possible au regard de la foi d’un catholique. Reconnue par la croyance maçonnique, mais pas moins dogmatique !
Le dogme de l’a-dogmatisme
L’article 5 de la Constitution internationale du Droit Humain déclare que la franc-maçonnerie « ne professe aucun dogme. Il travaille à la recherche de la vérité ». Or la conviction que l’accès à la vérité passe par le rejet de tout dogme est peut-être valable pour un franc-maçon, mais cela constitue sans conteste une affirmation dogmatique. À supposer même que cela soit vrai pour l’humanité, cela constituerait une vérité auto-proclamée (puisque non démontrée scientifiquement et rationnellement), c’est à dire un dogme au sens le plus péjoratif du terme selon sa conception maçonnique. Enfin affirmer que l’on s’affranchit de tout dogme est en soi une affirmation dogmatique, en tant que méthode philosophique. En d’autres termes se dire a-dogmatique, revient logiquement à exprimer le dogme de l’a-dogmatisme. Or comment un chrétien, et notamment un catholique pourrait-il s’affranchir (c'est-à-dire mettre de côté) des dogmes de l’Église ?
Le dithéisme maçonnique
La franc-maçonnerie considère que le monde est sous l’emprise de deux forces d’égale valeur (ce qui est également un dogme). Elle place sur un plan d’égalité le bien et le mal. C'est-à-dire une puissance « divine » (ou supra humaine) du Bien et une autre puissance « divine » du Mal. La franc-maçonnerie est donc manichéenne, voire dithéiste (selon le caractère athée ou déiste de l’obédience considérée). Or pour un catholique, Dieu n’a pas créé le mal en tant que tel. Le mal est l’œuvre de Satan, créature de Dieu, et non pas divinité maléfique. Pour un catholique, Dieu a définitivement vaincu le mal par la Croix.
Le « pavé mosaïque » est l’un des symboles maçonniques les plus déterminants. Il s’agit d’un assemblage de dalles blanches et noires, en forme de damier ou d’échiquier, sur le sol des loges. En tant que symbole de référence fondamental, il signifie que « tout se compense avec une rigoureuse exactitude » (O.Wirth, La franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, Tome « Le compagnon », éd. Dervy 1984, p.197), c'est-à-dire le vrai et le faux, le bien et le mal, le beau et le laid, le repos … la fatigue, le plaisir … la douleur, la joie … la peine, la lumière… les ténèbres, le bonheur… l’infortune. » (ibid. p.197) Ainsi la franc-maçonnerie ne conçoit le monde que comme soumis à des forces duales, et place sur un même plan, notamment le bien et le mal. Ce qui, soit dit en passant, est également une affirmation purement dogmatique ! Or telle n’est pas la conception de la doctrine chrétienne. Tandis que la franc-maçonnerie affirme un monde sous l’emprise d’un dualisme manichéen, l’Église considère à juste titre que Dieu et Satan ne se situent pas sur le même niveau ! Le premier est Créateur, et le second est créature, même si elle s’est révoltée. Le débat théologique a été tranché depuis longtemps : Dieu n’a pas créé, en lui-même, le mal. Dieu est Tout-Puissant et Satan n’est qu’un ange déchu. Enfin, par la Croix, Dieu a définitivement vaincu le Mal. Dieu n’est donc pas l’égale « force spirituelle » au mal.
Le rapport à la vérité
Pour la franc-maçonnerie, nous avons vu que la vérité est relative et évolutive, subjective, découverte par l’homme seul et en aucun cas révélée. Rappelons la déclaration de Paul Gourdeau : « ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d’un Dieu à l’origine de toute chose, ou elle trouve son fondement dans les constructions de l’homme, toujours remises en questions parce que perfectibles à l’infini ». Elle est aussi inaccessible (Rituel d’augmentation au grade de compagnon du Droit Humain et écrit d’Oswald Wirth). La vérité maçonnique est construite par l’homme et par lui seul, au moyen d’une confrontation au symbolisme occulte. Or pour un catholique la vérité est objective, transcendante, et révélée par Dieu en Christ. La Vérité catholique n’est pas un concept : elle est une rencontre avec Christ, accordée par la Grâce de Dieu en l’Esprit Saint. « Jésus lui dit : Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie. » (Jean 14, 6
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Côme
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commentaires
postés
Je me suis permis d’enregistrer la totalité de ce texte, synthétique et dense, afin qu’il me permette de nourrir mon argumentaire lors de certains commentaires qu’il m’arrive de déposer sur des sites, ...... où certains commentateurs ne sont pas ‘’tendres‘’ avec l’Église Catholique. Merci à l’auteur pour son apport constructif aux débats à venir.
Ce témoignage de Serge Abad-Gallardo est important car il est sincère et il nous invite, avec raison, à parler de Dieu à nos frères et soeurs francs-maçons. En ce qui concerne la position de l'Eglise Catholique, je signale le très bon livre de Monseigneur Dominique Rey, évèque du Diocèse de Fréjus-Toulon, intitulé "Peut-on être chrétien et franc-maçon" paru en juillet 2012 chez Salvator.
bonjour, il est difficile de parler d'une franc-maçonnerie. en France seule un type de franc-maçonnerie est une rechercher spirituelle, la grande loge de France, les autres loges étant plutôt des clubs d'affaires déguisés, qui sont par ailleurs déistes. je connais personnellement des personnes qui appartiennent à la grande loge de France. Il ne s'agit pas d'y pratiquer l'occultisme mais l'ésotérisme ce qui est très différent. l'ésotérisme a une vision de la Bible qui se rapproche de la vision orthodoxe qui considère que le langage de la Bible est symbolique. Dans la franc-maçonnerie il s'agit avant tout d'initiation : on ne peut pas parler de franc-maçonnerie sans parler d'initiation, et c'est pourquoi les derniers grades ne sont pas accessibles aux premiers grades, de la même manière qu'en 3ème on ne fait d'exercices de mathématiques de terminale.... l'initiation consiste à dire que l'itinéraire spirituel est lent, jalonné d'étapes qu'il faut intégrer. le moyen d'intégration est l'étude, la longue méditation de symboles ancestraux. c'est une démarche qui ne mérite pas d'être ostracisée. sur demande on peut tout à fait assister aux tenues ouvertes, et même aux autres tenues si la demande est justifiée car il ne s'agit pas d'accepter un tourisme de curiosité. les francs-maçons que je connais sont aussi chrétiens...
Merci Côme Nous participons aussi ! Les francs-maçons se disent ouverts à toutes les religions. Croire à l\'être supérieur et prêter serment sur un livre sacré leur permet de placer les religions sur la même pied....On a décidé de faire notre part par l\'éducation populaire et le roman. Voyez commun et Évelyne sera emporté par leur tourbillon .... Dans Quête complots et une manipulation http://www.rayogust.com/les-3-premiers-chapitres