1°/ Contre l’Immaculée conception, les textes bibliques affirmaient l'universalité du péché
L'Ancien Testament parle de la contamination par le péché qui frappe tout « homme né de la femme » (Psaumes 50,7 ; Job 14,2). Dans le Nouveau Testament, saint Paul déclare que, à la suite de la faute d'Adam, « tous ont péché » et que « la faute d'un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation » (Romains 5,12-18). Donc, comme le rappelle le Catéchisme de l'Église catholique, le péché originel « affecte la nature humaine », qui se trouve ainsi « dans un état déchu ». Le péché est donc transmis « par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles » (n° 404). Même si les textes bibliques affirment globalement l'universalité du péché, néanmoins la Tradition et la Magistère fondent la doctrine de l’Immaculée Conception sur le lien qui unit Marie à son Fils, seul homme exempt du péché originel. Saint Paul admet cependant une exception à cette loi universelle : le Christ, celui « qui n'avait pas connu le péché » (2 Corinthiens 5,21), qui a ainsi pu faire surabonder la grâce là « où le péché s'est multiplié » (Romains 5, 20). Ainsi donc le Christ nouvel Adam (Romains 5,20) et la nouvelle Ève font exception à la loi universelle du péché
Le rôle de la femme, important dans le drame du péché, l'est aussi dans la rédemption de l'humanité
Saint Irénée présente Marie comme la nouvelle Ève qui, par sa foi et son obéissance, a rééquilibré l'incrédulité et la désobéissance d'Ève. Un tel rôle dans l'économie du salut exige l'absence de péché. Il fallait que comme le Christ, le nouvel Adam, Marie elle aussi, la nouvelle Ève, ne connaisse pas le péché et soit ainsi plus apte à collaborer à la rédemption. Le péché, qui emporte l'humanité comme un torrent, s'arrête devant le Rédempteur et sa fidèle collaboratrice. Avec une différence substantielle : - le Christ est totalement saint en vertu de la grâce qui, dans son humanité, dérive de la personne divine ; - Marie est toute sainte en vertu de la grâce reçue par les mérites du sauveur.
Dans la réflexion théologique sur l’Immaculée Conception, le parallèle Ève-Marie devait jouer un grand rôle
Depuis le IIe siècle, Marie avait été désignée comme la Nouvelle Ève. Or Ève avait été créée sans péché. Ne devait-on pas en dire autant - au moins autant ! - de la Vierge Marie et conclure qu’elle a été conçue sans péché ? Le cardinal Newman pressait son ami anglican Pusey à formuler cette conclusion : « Je vous le demande, lui écrivait-il, avez-vous l’intention de nier que Marie ait reçu autant que Ève ? Est-ce trop inférer que Marie devant coopérer à la Rédemption du monde avait reçu au moins autant de grâce que la première femme qui fut, il est vrai, donnée comme aide à son époux mais coopéra seulement à sa ruine ? » (Du culte de la sainte Vierge dans l’Église catholique).
Le dogme de l’Immaculée Conception vient renouveler le parallélisme antithétique de la première Ève et de Marie
L’une et l’autre sont initialement sans péché et pourtant l’une cède à la tentation de Satan et conçoit le fruit amer du péché, l’autre répond à la sollicitation de l’ange et conçoit le fruit béni de notre salut. L’une pèche, l’autre pas, quoique toutes deux soient créées sans péché. C’est le mystère de la liberté humaine qui est ainsi figuré dans le parallélisme des deux Ève. L’usage de son libre-arbitre conduit la première Ève à l’esclavage du péché et la Nouvelle Ève à la vraie liberté des enfants de Dieu. Les deux femmes ont un libre-arbitre, c’est-à-dire une capacité de choisir. Ève choisit de suivre le diable, « Père du mensonge » (Jean 8,44). Marie choisit de mettre sa foi en Dieu. Elle accède ainsi à la pleine liberté selon la parole du Christ : « La vérité vous rendra libres » (Jean 8,32). La liberté est une grâce, un don de Dieu, que notre libre-arbitre nous permet d’accueillir ou de rejeter. Quiconque pèche demeure esclave du péché. « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » écrit saint Paul (Galates 5,1).
2°/ Dans le parallèle des deux Ève se trouvent aussi des arguments en faveur de l’Assomption de la Vierge
En effet la protologie (doctrine qui traite des origines de l'humanité) est la figure de l’eschatologie (ce qui concerne les temps derniers où nous sommes depuis l’Incarnation rédemptrice : cf. Hébreux 1,1).
De même qu’au paradis terrestre Adam et Ève se promenaient dans le Jardin d’Éden, de même actuellement sont établis corporellement dans le paradis Jésus et Marie, le Nouvel Adam et la Nouvelle Ève. Ainsi l’eschatologie éclaire la protologie. Les événements du début de l’humanité apparaissent comme une figure de ces temps que nous vivons et qui sont les derniers. Déjà Milon de Saint-Amand (+ 871) avait affirmé de manière singulière : « Ô Vierge, Tu ouvres les portes du paradis. Ève les avait fermées en cueillant à l'arbre interdit le mal mortel. Mais toi, tandis qu'aux rameaux de la croix pendait, fruit du salut, l'enfant de ta chair, l'assistant de tes pleurs par lesquels la joie vient au monde, tu conduis les enfants adoptifs au plus haut du ciel dont tu as retrouvé la clef » (De sobrietate II, 12-18, traduction de René Laurentin dans Court traité de théologie mariale, p. 58 note 85). Pie XII en proclamant le dogme de l’Assomption le 1er novembre 1950 rappellera cette constance des Pères à voir en Marie la Nouvelle Ève (Bulle Munificentissimus Deus).
3°/ Pour la rédemption, c’est en Marie que l’Alliance nouvelle et définitive a son commencement
« Il est difficile de comprendre pourquoi les paroles du protévangile mettent aussi fortement en relief la femme si l’on n’admet pas qu’en elle l’Alliance nouvelle et définitive de Dieu avec l’humanité, l’Alliance dans le sang rédempteur du Christ, a son commencement. Elle commence avec une femme, avec la « femme », à l’Annonciation de Nazareth. C'est la nouveauté absolue de l’Évangile » (Jean-Paul II, lettre apostolique Mulieris dignitatem, n° 11).
Ève était pour Adam « une aide semblable à lui », l’expression revient avec insistance dans la Genèse
N’est-il pas dès lors patent que Marie est selon l’expression du Concile la digne associée du rédempteur ? Elle coopère, à son niveau subordonné de créature, à l’œuvre du salut. C’est pourquoi on a pu l’appeler co-rédemptrice ou même « rédemptrice des larmes d’Ève ». C’est dans cette ligne sotériologique que Vatican II nous invite d’ailleurs à méditer le parallèle des deux Ève : « C'est donc à juste titre, lisons-nous dans Lumen Gentium (n° 56), que les saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas simplement la coopération d'un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance. En effet, comme dit saint Irénée, « par son obéissance elle est devenue, pour elle-même et pour tout le genre humain, cause de salut ». Aussi avec lui, bon nombre d'anciens Pères disent volontiers dans leurs prédications : « Le nœud dû à la désobéissance d'Ève, s'est dénoué par l'obéissance de Marie ; ce que la vierge Ève avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l'a dénoué par sa foi » ; comparant Marie avec Ève, ils appellent Marie « la Mère des vivants » et déclarent souvent : « par Ève la mort, par Marie la vie ».»
Marie « aide » le Christ dans la rédemption par une coopération unique et privilégiée
Pour saint Bonaventure (1221-1274), Marie a été destinée de toute éternité à être l’aide de Jésus, nouvelle Ève auprès du nouvel Adam, coopérant à son œuvre par sa coopération maternelle. Chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), Marie apparaît comme « le vrai paradis terrestre du nouvel Adam », la « terre vierge et immaculée » dont il a été façonné (Traité de la vraie dévotion, n° 261). Elle est aussi la nouvelle Ève, associée au nouvel Adam dans l’obéissance qui répare la désobéissance originelle de l’homme et de la femme (cf. ibid, n° 53). Le pape Jean-Paul II a, en septembre 1997, donné au cours de ses audiences générales, un enseignement de mariologie où il souligne avec force, à la suite du Concile Vatican II, le titre absolument unique auquel la Vierge Marie a été « généreusement associée à l'œuvre du Rédempteur » (cf. Concile Vatican II, constitution dogmatique Lumen Gentium, n° 61).
On perçoit dans l'antithèse Ève-Marie l'unité du plan salvifique de Dieu
Le plan divin de salut ne consiste pas à raccommoder sommairement l’œuvre première corrompue, mais véritablement à la reprendre par le principe. Le projet ébauché et avorté en Ève, Dieu l'a repris et restauré en Marie. La théologie de la récapitulation et de la « recirculation » de saint Irénée confère à Marie, reprise d'Ève, un rôle quasi nécessaire à la logique du plan divin. La récapitulation dans le Christ, Adam final, exigeait qu'Ève fût restaurée en Marie. Seule une telle hauteur de vue percevant à sa juste mesure l'amplitude de l'économie rédemptrice permet de dégager la signification exacte de la Vierge dans le plan du salut. Elle contribue également à relativiser le parallélisme antithétique des deux Ève. L'apport de Marie au relèvement objectif de l'humanité surclasse celui de la première Ève à sa ruine. Toute la théologie paulinienne est dominée par ce « combien plus », cette disproportion entre l'événement de la chute et l'événement de la grâce, entre l'injustice du premier père dont Ève fut « l'associée » (Genèse 2,21) et la surabondante justice du Christ dont Marie est la mère.
Ainsi se trouve convenablement formulé le parallélisme entre Ève et Marie. C'est un parallélisme antithétique qui doit suggérer une réelle disproportion entre les deux Ève
Car Marie n'est pas simplement une anti-Ève ou une Ève améliorée, elle est une Nouvelle Ève, une créature nouvelle, une femme bénie entre toutes les femmes parce que « le fruit de son sein l'a été bien davantage ».
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Notre compréhension sur la vie de Marie, la Nouvelle Eve, doit nous amener sur le chemin de notre croyance en la Nouvelle Marie, celle qui permettra la « renaissance » du Nouveau Christ sur terre, car si l’humain a une foi suffisante dans la Mère et le Fils de Dieu, il ne pourra que revenir parmi nous comme il l’a annoncé et déjà fait par sa première naissance. C’est maintenant à nous de lui préparer son chemin dans la confiance et l’engagement que nous saurons mieux l’accueillir, mieux le protéger et mieux l’écouter cette fois-ci pour éviter notre perte. Aussi, il est nécessaire de commencer par combattre les démons de ce monde qui ont toujours œuvré à vouloir le détruire et empêcher le retour de celui qui nous sauve et libère de toute emprise du mal.
Merci, père, pour ce profond article. C'est bibliquement, historiquement et théologiquement bien fouillé