Pourquoi la théologie naturelle est-elle encore oubliée aujourd'hui ?

Démontrer l’existence de Dieu ? Nous avons (presque) tous appris au Lycée que c’est impossible !  Mais pourquoi ? On ne nous l’a pas vraiment expliqué …

Cela nous a plutôt été présenté comme un « acquis de la pensée moderne ». La simple évocation de quelques noms suffisait à nous impressionner : « Après Kant, Nietzsche, Marx et Freud, plus rien ne sera jamais comme avant »... Mais alors, que faire de tous les grands métaphysiciens qui ont passé leur temps à prouver rationnellement l’existence d’une cause première ? Platon, Aristote, Plotin, Anselme, Thomas d’Aquin, Duns Scot, Descartes, Leibniz se seraient-ils tous trompés ? Nos professeurs auraient été bien en peine de le démontrer. L’essentiel était que la question soit écartée.
Mais alors pourquoi ?

Soyons clairs : il s’agissait moins d’une impossibilité logique que d’un interdit idéologique.

En Europe, et particulièrement en France, la Modernité a eu besoin, pour émerger, de s’opposer à la religion, et de la chasser hors de l’espace public. Elle l’a fait manu militari, mais elle l’a aussi fait sur le plan intellectuel. Dans ce contexte, il convenait de considérer que la croyance en l’existence de Dieu (qui constitue le préambule de la foi religieuse proprement dite) ne relève pas du constat rationnel, accessible à tout esprit attentif, mais du sentiment subjectif, individuel, privé. Des goûts et des couleurs, en d’autres termes. L’enseignement philosophique, comme appareil idéologique d’Etat, s’est donc beaucoup consacré à accréditer l’impuissance de la raison dans les matières métaphysiques, en tenant pour acquis que les philosophes des « Lumières » (Hume-Kant) puis, plus tard, les philosophes du « soupçon » (Nietzsche-Marx-Freud) avaient définitivement évacué la question. C’est généralement ce qu’un lycéen retient de sa courte année de philo. Quand il en retient quelque chose.

A partir des années 60, l’Eglise elle-même, dans sa pastorale, a semblé rallier le mouvement général, en abandonnant l’apologétique, c’est-à-dire la défense rationnellement argumentée de la crédibilité de la vraie religion.

Saint Thomas d’Aquin a disparu des séminaires, les vieux manuels ont été vendus au marché aux puces. Le fidéisme, c’est-à-dire l’attitude consistant à séparer complètement la foi de la raison, qui était jusqu’ici un trait typique du protestantisme, a fini par gagner le clergé –sans parler des fidèles. En contradiction formelle avec la doctrine la mieux établie.

Aux Etats-Unis, où la Modernité ne s’est pas construite contre la Religion, la philosophie n’a pas été touchée aussi profondément qu’en Europe par le relativisme

La métaphysique est restée vivante, elle a montré que les critiques des Lumières et des philosophes du Soupçon n’étaient pas décisives. Que le scientisme (thèse selon laquelle il n’y a de vérité que physico-mathématique) était une doctrine contradictoire. Nous assistons donc, depuis les années 70 à une renaissance (durable !) de la métaphysique et de la théologie philosophique dans tout le monde anglo-saxon. Des ouvrages paraissent chaque année, défendant, en particulier la possibilité de prouver l’existence de Dieu. Pour se faire une idée de cette vitalité intellectuelle, il suffit de consulter par exemple The Blackwell Companion to Natural Theology  dirigé par William Lane Craig et J.P. Moreland, ou tout récemment Two Dozen (or so) Arguments for God: The Plantinga Project, dirigé par Jerry Walls et Trent Dougherty. Dans un genre plus catholique (moins réformé), on pourra lire aussi les ouvrages récents d’un néo-néo-thomiste californien de choc, Edward Feser : The Last Supertition, Scolastic Metaphysics, Five Proofs of the Existence of God. Tout cela commence seulement à arriver en France, encore timidement (aucun de ces ouvrages n’est traduit ! Aucun livre d’Alvin Plantinga, par exemple, philosophe et logicien majeur du XX^ème, n’est traduit).

Alors que la science du XIXème siècle semblait contredire la religion, il y a un grand retournement au XXème siècle avec toute une série de découvertes qui mettent à mal le matérialisme

Freud a résumé en 1917 les « trois humiliations » que la science semblait avoir fait subir à l’homme moderne avec Copernic (l’homme n’est pas au centre de l’Univers), Darwin (l’homme n’est qu’un singe amélioré, pas au centre du monde vivant), et Freud (l’homme avec son inconscient n’est même pas au centre de lui-même) mais depuis les découvertes scientifiques ont changé complètement notre vision du monde. Avec la thermodynamique, la mécanique quantique, la relativité, le Big Bang et l’expansion accélérée de l’Univers, la découverte de l’ADN, de la convergence de l’évolution et de la complexité de la vie, le principe anthropique, les études sur les EMI, le cerveau et la conscience, et les expériences d’Alain Aspect qui démontrent l’existence de causalités non locales qui viennent de l’extérieur de l’espace-temps, le matérialisme est de plus en plus difficile à soutenir.
Evidemment, il s’agit là seulement d’une première étape. La théologie naturelle ne donne pas « la foi qui sauve », et ne permet pas de déduire la Révélation ! Elle met seulement en place les préambules de la Foi. Il reste ensuite à se demander si Dieu a parlé aux hommes. Et si oui, quand ? Et dans quel livre ? Et si c’est le cas, c’est là seulement que l’on pourra apprendre sur Dieu tout ce que la Raison ne peut pas deviner. Car, selon le mot de Pascal, « seul Dieu parle bien de Dieu ». Mais il faut reconnaître aussi que la théologie naturelle aide à poser le premier pas et à ouvrir les oreilles : on est plus disposé à écouter la voix de Dieu quand on pense qu’il existe, que lorsqu’on est persuadé du contraire.

La situation est donc en train de se retourner

C’est donc du sein du plus grand pays protestant du monde - qui est évidemment aussi celui où la science se développe le plus - que nous vient le renouveau de ce qui constituait autrefois une des spécificités du catholicisme : l’affirmation de l’harmonie entre la Foi et la Raison !

La Bible aborde souvent ce thème

La Mère des Maccabées le dit à ses enfants : « Regarde le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent : sache que Dieu a fait tout cela de rien, et que la race des hommes est née de la même manière » (2 Maccabées 7,28). Les Psaumes aussi : « C'est toi qui as créé mes reins, qui m'as tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi le prodige, l'être étonnant que je suis : étonnantes sont tes œuvres toute mon âme le sait » (Ps 138,13). Saint Paul le confirme : « Ce que Dieu a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité » (Romains 1,18)

Le premier concile du Vatican l’a confirmé par une déclaration solennelle

« La Sainte Église tient et enseigne que par la lumière naturelle de la raison humaine Dieu peut être connu avec certitude au moyen des choses créées ». Et cette affirmation de Vatican I a été précisée par un motu proprio de Saint Pie X (Sacrorum Antistitum) : « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude et même démontré par la lumière naturelle de la raison, au moyen des êtres qu’il a faits, c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création comme la cause est connue et se démontre par les effets. » Et Pie XII, dans Humani Generis, avait même pris la peine de préciser la méthode : « Pour « démontrer avec certitude l’existence d’un Dieu personnel », il faut recourir aux « principes inébranlables de la métaphysique, à savoir le principe de raison suffisante, le principe de causalité et le principe de finalité. » Saint Jean-Paul II, enfin, a précisé dans son Catéchisme (§31), que les preuves de l’existence de Dieu relevaient bien de la métaphysique qui permet « d’atteindre à de vraies certitudes » – et non des sciences naturelles, toujours hypothétiques.

L’Église affirme aussi que la Révélation vient encore renforcer la certitude donnée par la raison

« Pour que l’hommage de notre foi fût conforme à la raison, Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint-Esprit soient accompagnés des preuves extérieures de sa Révélation (ibid., DS 3009). C’est ainsi que les miracles du Christ et des saints (cf. Mc 16, 20 ; He 2, 4), les prophéties, la propagation et la sainteté de l’Église, sa fécondité et sa stabilité "sont des signes certains de la Révélation, adaptés à l’intelligence de tous", des "motifs de crédibilité" qui montrent que l’assentiment de la foi n’est "nullement un mouvement aveugle de l’esprit » (Cc. Vatican I : DS 3008-3010) » (CEC 156)

Il faut d’abord reconnaître une chose : tant que les hommes ont vécu au contact de la nature, ils ont reconnu l’existence, même de manière confuse, d’un principe ordonnateur.

« Les cieux chantent la gloire de Dieu » disent les Psaumes mais encore faut-il voir le ciel ! La disparition de la foi spontanée date de l’urbanisation, qui contraint les hommes à vivre dans un milieu entièrement artificialisé où l’on ne voit plus ni le ciel étoilé, ni le vol des papillons dans l’or du soir. Il y a fort à parier que, replacés dans les conditions d’existence propices, nous retrouverions le sens du divin. Car, il se pourrait bien que le divin, sans plus de précision, soit l’objet d’une intuition première, aussi fondamentale que l’intuition des trois dimensions de l’espace. Il suffirait de se trouver dans les conditions propices à l’exercice du « sens du divin » pour renouer avec le sentiment d’évidence de nos aïeux. C’est-à-dire, en l’occurrence, de voir la Nature, et non les produits de l’industrie humaine, mais aussi d’entendre la voix de notre conscience (ce qui suppose là aussi que cette voix ne soit pas couverte par trop de bruit parasitaire)

Mais si cette voie est bouchée par le péché, par le désordre et le brouhaha de nos existences, il faut recourir à l’argumentation philosophique

Cette dernière est de toute façon utile puisqu’elle permet de démontrer l’existence d’un Dieu moins vague que celui que touche l’intuition - qui ne permet pas de trancher entre le Tao, l’Atman le Qi, le GADLU, ou le Dieu créateur. Dans les quelques circonstances propices à la méditation que nous laissent nos écouteurs et nos écrans, nous nous sommes tous posés quelquefois les grandes questions métaphysiques.

D’où vient l’Univers ? Pourquoi existe-t-il ? Quelqu’un a-t-il pensé tout cela ?

De toute évidence, l’Univers est là depuis longtemps. Certains pourraient être tentés de se dire, emportés par le sentiment océanique du divin, que Dieu, c’est l’Univers. Mais le panthéisme ne tient pas. Pourquoi ? Eh bien parce que l’Univers porte sur lui des « traces » qui prouvent qu’il n’est pas la cause première, qu’il ne suffit pas à lui-même, qu’il dépend d’autre chose que de lui-même pour être. Bref, qu’il est un effet. On peut en repérer trois. Classons-les dans l’ordre où elles sont apparues à la conscience des hommes.

Les mathématiques s’appliquent admirablement bien à la nature

Non seulement elles permettent d’exprimer les lois physiques de son fonctionnement, mais des théories mathématiques développées librement, sans aucun lien avec la science physique, et selon des exigences esthétiques purement formelles, se révèlent, des décennies plus tard, fournir les outils nécessaires à la description du monde (les nombres complexes, les espaces de Hilbert, la théorie des groupes, etc.) Et de cela, il n’y a aucune explication physico-mathématique. Eugene Wigner, Prix Nobel de Physique, parlait ainsi de la « déraisonnable efficacité des mathématiques ».

Cela pointe vers l’existence d’une Cause intelligente, ordonnatrice de l’Univers

Car c’est de deux choses l’une : ou bien les mathématiques sont des fictions cohérentes forgées par les hommes, et alors elles ne devraient pas s’appliquer au réel physique ; ou bien les mathématiques décrivent un monde abstrait, immatériel mais parfaitement objectif et qui s’impose à nous, mais alors on se demande pourquoi le monde physique contingent devrait correspondre à ce monde abstrait (car le monde immatériel des idéalités mathématique n’a pas de pouvoir causal sur la matière)... Il n’y a qu’une solution : le monde physique a été organisé selon les structures et lois de ce monde abstrait, qui se trouvait donc dans l’esprit d’une cause ordonnatrice. Il y a donc un esprit organisateur derrière les structures de l’espace-temps.

Considérons maintenant l’Univers dans sa totalité. Ce qui frappe (et parfois nous saisit), c’est son apparente gratuité ; c’est-à-dire sa contingence.

Il est comme il est, mais il ne porte pas en lui-même l’explication de son être. On a, en le contemplant, le sentiment très vif qu’il aurait pu être différent, ou ne pas exister du tout. C’est très différent du sentiment que l’on éprouve en contemplant des vérités mathématiques, dont nous avons, au contraire, l’intuition très vive qu’elles sont absolument nécessaires et qu’elles portent en elle-même leur propre justification. Dans tous les univers possibles, les vérités mathématiques seraient les mêmes. En revanche, les lois de la physique ou les conditions initiales de l’Univers auraient pu être différentes. La quantité totale de matière-énergie constitutive de notre Univers pourrait fort bien n’être pas M, mais M+e ou M-e. Où cela nous emmène-t-il ? Très loin, car c’est un principe de base de la rationalité que tout ce qui existe a une explication de son existence, ou bien en soi-même (comme les réalités mathématiques) ou bien en quelque chose d’autre –c’est-à-dire dans une cause (comme les réalités physiques). Si je vous dis « A=A », vous ne me demanderez pas d’explication : il est nécessaire qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire inconcevable qu’il en soit autrement. En revanche, si je vous dis « Je suis né à Nantes », il est parfaitement concevable qu’il en ait été autrement ; dès lors, une explication externe est requise. Pourquoi à Nantes et pourquoi pas ailleurs ? Et cette explication existe forcément, même si je ne la connais pas. Pour l’Univers, c’est la même chose. Son existence et ses caractéristiques particulières ont forcément une explication externe. Ici, il faut faire bien attention. Car certains seront tentés de ne pas prendre la question dans toute sa radicalité, et de la confondre avec une autre. Ils diront la chose suivante : l’Univers, à tout instant t de son existence, a sa raison d’être dans son état précédent t-1, et ainsi de suite en t-2, t-3,... t-n. Et si le passé est infini, il y aura toujours une explication antécédente, et l’Univers sera expliqué... par lui-même !

Attention au sophisme : car ce que nous cherchons à expliquer, ce ne sont pas les transformations de l’Univers (c’est le travail de la science physique), mais son existence même dans sa totalité.

La régression horizontale de cause en cause à l’infini n’explique en rien l’existence de la série elle-même –fût-elle infinie –puisqu’elle la présuppose. Il est donc absolument clair que toute explication de l’Univers par une cause contingente ne fait que décaler d’un cran le problème, sans le résoudre. Car la question se repose à chaque fois. Une immense chaîne d’êtres contingents qui s’entre-expliquent n’est jamais qu’un immense agrégat contingent... qui a besoin d’une explication.

Bref, même s’il était éternel, l’Univers n’en resterait pas moins totalement contingent

C’est un peu comme si, voyant de la lumière se refléter sur un miroir vous demandiez à un ami d’où vient la lumière. S’il vous répondait qu’elle vient d’un autre miroir sur laquelle elle se reflétait, vous reposeriez alors, avec un peu d’agacement, la même question à propos du deuxième miroir. Et si votre ami vous disait : « Oh, c’est simple, elle vient d’un troisième miroir...et ainsi  de suite à l’infini, car il y a une infinité de miroirs », vous pourriez à bon droit conclure qu’il n’a rien compris à la question. Pour que la lumière soit transmise, il faut d’abord qu’elle ait été émise. Et même si, par hypothèse, la lumière était reflétée sur un nombre infini de miroirs, il faudrait une source de lumière qui soit lumineuse par elle-même, et non de manière dérivée. Bref, une source de lumière qui ait en elle-même, et non dans un autre, la raison de son caractère lumineux. Eh bien, il en va exactement de même avec l’existence des choses contingentes (dont l’Univers, fût-il éternel, n’est jamais que l’énorme agrégat) : elle ne tient pas toute seule ; elle a besoin d’une explication ultime, qui ne peut être donnée que par un être qui lui-même n’ait pas besoin d’une explication externe.

Il faut un être qui n’ait pas reçu l’existence d’une manière restrictive (ce qui demande une explication externe), mais qui soit l’existence elle-même dans toute son ampleur infinie.

À défaut, rien ne serait expliqué et le principe de raison suffisante serait bafoué. Nous tenons donc notre conclusion : l’existence de la somme totale des êtres contingents, suppose celle d’un être absolument nécessaire, qui soit, à chaque instant, la cause qui les maintient dans l’existence et fait qu’ils sont ainsi et pas autrement. Si l’Univers est ainsi et pas autrement, c’est tout simplement parce qu’il est comme suspendu à l’action d’une cause première nécessaire. Mais attention : l’action de cette cause ne peut pas être nécessaire (sinon son effet serait lui-même nécessaire) ; elle est contingente, c’est-à-dire libre. Cette cause est évidemment dépourvue de tout ce qui fait que le contingent a besoin d’une explication externe : elle ne dépend de rien, elle a sa raison d’être en elle-même, elle n’a pas de cause, elle n’a pas de parties, elle n’est pas finie (car à toute grandeur donnée, on peut demander « et pourquoi pas une autre » ?), elle est donc inétendue. Dit positivement : elle est absolument simple, immatérielle, elle n’est pas ceci ou cela, mais l’être absolu, sans restriction, dans toute sa plénitude. L’Être nécessaire est aux choses contingentes ce qu’une source de lumière blanche est à ses reflets multiples et à ses diffractions colorées.

La philosophie, la thermodynamique et la cosmologie démontrent que le temps ne peut pas exister de manière infinie dans le passé

Nous venons d’admettre que même si l’Univers existait depuis un temps infini, il serait en situation permanente de dépendance existentielle à l’égard de la cause première. Un peu comme la lumière réfléchie de miroir en miroir : que ces derniers soient en nombre fini ou non, de toute façon, il faut une source de lumière. Mais sommes-nous bien certains que l’Univers puisse exister depuis une éternité ? Cette question mérite tout de même d’être posée. Or, il s’avère que ce n’est pas possible : la réflexion philosophique le démontre et la science également.

La philosophie démontre que le passé ne peut pas être infini.

Si le passé était infini, le présent ne serait jamais arrivé ; l’Univers serait toujours en train de traverser le nombre infini d’étapes qui précèdent le présent. Car, de même qu’il est impossible de rejoindre l’infini par addition successive en partant de zéro, il est impossible de rejoindre zéro en partant de moins l’infini. C’est même pire que cela : il est impossible de « partir de moins l’infini », puisque cette course n’a même pas de point de départ. Provenir de l’infini, c’est comme essayer de sauter hors d’un puits sans fond (-∞+1=-∞). C’est une opération impossible. Or, c’est le type d’opération que supposerait l’existence d’un passé infini : il faudrait que l’Univers ait « toujours déjà » traversé un nombre infini d’étapes, ce qui rendrait inexplicable et littéralement sans raison le fait qu’il se trouve à une quelconque étape donnée.

La thermodynamique affirme la future « mort thermique » de l’Univers qui ne peut donc être sans début dans le passé, sinon il serait déjà en état de mort thermique depuis l’éternité

Sadi Carnot (1824), Rudolf Clausius (1865) et Ludwig Boltzmann (1878) ont découvert à la fin du XIXème siècle le second principe de la thermodynamique qui affirme l’irréversibilité des processus thermodynamique et la croissance irrémédiable de l’entropie dans un système fermé. Lord Kelvin et Sir Arthur Eddington résumeront cela en disant qu’il y a une « flèche du temps » (1928) qui conduit inévitablement à la « mort thermique » de l’Univers. Ainsi, il est certain que l’Univers ne peut pas exister depuis un temps infini, car sinon il serait en état de mort thermique depuis une éternité. Ce qui n’est pas le cas. 

La cosmologie semble également indiquer la grande probabilité d’un commencement radical

Il se trouve en effet que l’idée de singularité initiale, impliquées par la théorie standard du Big Bang (application de la relativité générale à l’Univers dans sa totalité), résiste remarquablement bien aux nombreuses théories alternatives qui ont été essayées contre elle depuis cinquante ans : « état stationnaire », « univers oscillant avec Big Crunch périodique », « inflation chaotique », « multivers ekpyrotique », etc. tous ces modèles sont venus se fracasser sur la nécessité physico-géométrique d’un commencement absolu (c’est-à-dire d’un commencement en deçà duquel il n’y a pas de temps). Cette nécessité semble d’ailleurs si rigide qu’elle serait à l’abri de toute éventuelle remise en cause de la relativité générale par les futurs progrès de la théorie quantique de la gravitation (nécessaire à la compréhension de l’état de l’univers en deçà du mur de Planck). Cette nécessité a été établie, de manière progressive durant les dernières années, dans des théorèmes de plus en plus généraux, par le trio Borde-Guth-Vilenkin. (A. Borde, A. Guth, A. Vilenkin, [2003] « Inflationary spacetimes are incomplete in past directions », Phys. Rev. Lett. 90 http://arxiv.org/PS_cache/gr-qc/pdf/0110/0110012v2.pdf. Dans leurs théorèmes, Borde Guth et Vilenkin généralisent les théorèmes formulés par Hawking et Penrose sur les singularités dans les années 70, qui admettaient un certain nombre d’exceptions. Le programme de Vilenkin consiste à examiner toutes les exceptions possibles et à chercher des versions plus générales.). Dans son dernier article, Alexander Vilenkin semble enfoncer les derniers clous sur le cercueil des infinitistes. Nous y renvoyons les amateurs (Mithani & Vilenkin, “Did the Universe Have a Beginning?” [2012] : http://arxiv.org/abs/1204.4658.) Voici ce qu’il écrit à ce propos dans un livre exotérique : « La chose remarquable à propos de ces théorèmes est leur portée très générale. Nous n’avons fait aucune présupposition sur le contenu matériel de l’univers. Nous n’avons pas même présupposé que la gravité fût adéquatement décrite par les équations d’Einstein. Par conséquent, si la gravité d’Einstein requiert quelques modifications, notre conclusion continuera de s’imposer. La seule chose que nous ayons admise est que le taux d’expansion de l’univers ne passe jamais sous une certaine valeur non-nulle, aussi petite soit-elle. Ce postulat serait certainement satisfait dans un faux-vide (false vacuum) en inflation. On peut en conclure qu’une inflation éternelle sans commencement est impossible. […] On dit qu’un argument est ce qui convainc les hommes raisonnables, et une preuve ce qu’il faut pour convaincre même un homme non raisonnable. Avec la preuve que nous avons maintenant établie, les cosmologistes ne peuvent plus se cacher derrière la possibilité d’un univers ayant un passé éternel. Il n’y a plus d’échappatoire : ils doivent affronter le problème du commencement cosmique. » (Cf. Alexander Vilenkin, Many Worlds In One : The Search for Other Universes, [2006], Hill and Wang, pp. 175 et 176.) 

Répétons ici que l’idée de singularité initiale suppose selon la théorie physique elle-même un commencement du temps et de l’espace. Autrement dit, l’astrophysique elle-même est conduite à poser un commencement radical, qui n’est pas une transition de phase interne à notre univers : il n’y a pas de temps avant la singularité. L’idée même qu’il puisse s’agir de l’effet d’une cause temporelle est donc écartée. Assurément, les extrapolations de l’astrophysique n’ont pas le même statut que les arguments logico-déductifs, qui ne sont pas soumis à un quelconque démenti expérimental. Tout ce que l’on peut dire est qu’il semble bien y avoir désormais une harmonie entre les conclusions des arguments a priori et les hypothèses les mieux corroborées de la science physique.

La conclusion est que le passé est fini. Ce qui veut dire que le temps a commencé. Or, ce simple fait est vertigineux …

Car nous ne sommes pas en train de parler du commencement d’une chose à l’intérieur du temps, mais du commencement du temps lui-même, c’est-à-dire du commencement radical. Comprenons bien : de même qu’il est absurde de demander ce qu’il y a « au nord du Pôle Nord », il est absurde de demander ce qu’il y a « avant le temps ». Il n’y a pas d’avant. Que le temps ait un commencement, cela implique que toute réalité physique spatio-temporelle concevable (ici, mettez tous les « multivers » que vous voudrez) a nécessairement un commencement radical. C’est-à-dire un début non précédé d’un quelconque temps, ni, donc, d’une quelconque réalité spatio-temporelle. Est-ce à dire que tout cela a surgi sans cause ? Pas du tout !

Le principe de causalité s’applique : tout ce qui commence d’exister a une cause. Le nier, c’est opter pour la magie

L’Univers a donc une cause. Simplement, cette cause n’est pas banale : elle est hors du temps (puisqu’elle en est la cause), elle est hors de l’espace (tout ce qui est étendue se meut et tout ce qui se meut est dans le temps), elle est infiniment puissante (puisqu’elle a produit la totalité du monde physique sans agir sur une matière préexistante). Enfin, elle n’a pas agi avant le premier instant de l’Univers, mais au premier instant de l’univers. Donc non seulement l’Univers est maintenu hors du néant en permanence par la cause nécessaire (ce que les Médiévaux appelait la creatio continuans), mais il a bel et bien été créé de rien (creatio originans).

Le bilan de nos 3 réflexions est normalement déjà suffisant pour prouver l’existence de Dieu

Un peu de réflexion sur l’Univers nous conduit à remarquer qu’il ne subsiste pas par lui-même, mais qu’il est un effet. Et que cet effet a nécessairement une cause d’un type très particulier, dont les principales propriétés sont d’être immatérielle, atemporelle, incausée, absolument simple, nécessaire, intelligente, et libre. Cette cause a non seulement produit l’ensemble de la réalité finie à partir de rien (ex nihilo), mais elle l’a fait au commencement du temps (ab initio), et continue de la soutenir dans l’existence. Il n’est pas exagéré de l’appeler « Dieu ».

Vous n’êtes pas convaincus ? Libre à vous de chercher d’autres preuves ! (il n’en manque pas).

L’Écriture sainte elle-même nous y pousse avec une certaine vigueur : « Ils sont foncièrement insensés, tous ces hommes qui en sont venus à ignorer Dieu: à partir de ce qu’ils voient de bon, ils n’ont pas été capables de connaître Celui qui est; en examinant ses œuvres, ils n’ont pas reconnu l’Artisan. » (Sagesse, XIII, 1)