Les historiens ont montré l’impact contre-productif des protestations publiques par rapport aux déportations des Juifs
Celles-ci n’ont eu d’efficacité que lorsque les pouvoirs publics avaient une marge de manœuvre et pouvaient répondre aux réactions communes des autorités religieuses et de la société civile face à la pression du Reich. C’est ce qui explique pourquoi l’effet des protestations de la hiérarchie aboutit à des résultats si opposés dans les cas de la France, du protectorat de Bohême Moravie et de la Hollande pour ne citer que ces exemples. Pie XII a donc estimé qu’il appartenait aux évêques de chaque pays de juger de l’opportunité d’une déclaration publique.
« La seule chose qui nous retient est le fait que, si nous parlions, nous rendrions encore plus dure la condition de ces malheureux. »
Le Saint-Siège a pris en compte les avis des intéressés par l’intermédiaire de la hiérarchie. Déjà en mai 1940, Pie XII déclarait à l’ambassadeur Dino Alfieri : « Les Italiens savent les choses horribles qui se passent en Pologne. Nous devrions dire des paroles de feu contre de pareilles choses. La seule chose qui nous retient est le fait que, si nous parlions, nous rendrions encore plus dure la condition de ces malheureux. » Cette déclaration était fondée sur les avertissements de la hiérarchie polonaise, de l’archevêque Sapieha de Cracovie déclarant à Ledochowski que chacune des émissions de Radio-Vatican révélant les crimes nazis était suivie de représailles sur les populations. Ces propos pourraient être rapprochés de ceux de Mgr von Galen évêque de Munster (béatifié sous Jean-Paul II) qui protesta en chaire contre l’élimination par le régime nazi des handicapés et qui fut élevé à la charge de cardinal après la guerre par Pie XII. Ce dernier le félicitant reçut comme réponse : « Oui, Saint Père (…) mais combien de mes meilleurs prêtres n’ai-je pas envoyé en camp de concentration, et même à la mort pour avoir répandu mes sermons ! »
Le Pape avait en tête le terrible exemple de la protestation en Hollande et de la répression sanglante qui suivit
On sait les conséquences tragiques des protestations publiques de Mgr de Jong, archevêque d’Utrecht et primat de l’Église hollandaise, aux premières déportations des Juifs en Hollande et la riposte du gauleiter Seyss-Inquart déportant les Juifs baptisés des Pays Bas (parmi lesquels les sœurs Édith et Rosa Stein en juillet 1942). Horrifié par l’événement, Pie XII déclara à Sœur Pascalina Lehnert : « Il vaut mieux se taire en public et faire en silence comme auparavant tout ce qu’il est possible de faire pour ces pauvres gens ».
Le radio-message de Noël 42 qui faisait suite à la déclaration alliée du 17 décembre 42 sur la persécution des Juifs ne dérogeait pas complètement à cette ligne
Pie XII ne mentionnait les Juifs que de manière implicite en évoquant le sort des « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, par le seul fait de leur nationalité et de leur origine ethnique ont été voués à la mort ou à la disparition progressive. » Dans son discours au Sacré-Collège du 2 juin 1943 un mois après la rédaction du mémorandum sur la situation faite aux Juifs en Europe, le pape déclarait encore que « toute parole de Notre part, adressée à ce propos aux autorité compétentes, toute allusion publique doivent être considérées et pesées avec un sérieux profond, dans l’intérêt même de ceux qui souffrent, de façon à ne rendre leur position encore plus difficile et plus intolérable qu’auparavant, même par inadvertance et sans le vouloir.»
C’est donc l’action discrète, multiple, directement diplomatique ou indirectement par le réseau des établissements religieux qui constitue la réponse du Saint-Siège à l’entreprise nazie d’extermination
Pie XII a agi en faveur des Juifs par les nonciatures maintenues en Roumanie, Slovaquie, Hongrie, pour les sauver des déportations tant que n’était pas complète l’emprise croissante du nazisme sur ces pays. Ces démarches ont permis de sauver des dizaines de milliers de Juifs slovaques ou hongrois. À l’heure de l’occupation allemande de la ville éternelle (septembre 43) il a donné les consignes pour ouvrir aux Juifs tous les monastères romains, le Vatican et Castel Gandolfo.
« Ne rien faire et ne pas protester est inadmissible. Si vous ne protestez pas, vous devez agir. Si vous ne pouvez agir, vous devez protester. »
Gerhart Riegner, représentant du Congrès juif mondial à Genève et auteur du fameux rapport sur l’extermination des Juifs qui porte son nom (août 1942) fixait à Carl Burkhardt, vice-président du Comité international de la Croix Rouge la règle à suivre : « Je vous le dis, ne rien faire et ne pas protester est inadmissible. Si vous ne protestez pas, vous devez agir. Si vous ne pouvez agir, vous devez protester. » En définitive, ce fut aussi la ligne suivie par Pie XII. L’attitude de Pie XII au moment de l’occupation allemande de Rome révèle ce rapport entre l’action et l’ultima ratio de la protestation. La démarche auprès de l’ambassadeur du Reich Weiszäcker puis auprès du général (catholique, autrichien) Stahel ont permis d’interrompre les déportations des Juifs de Rome ordonnées par Himmler et mises en œuvre par le SS Kappeler. Le rabbin Zolli avait bien compris que si Pie XII avait été contraint à une protestation publique, la ville de Rome se serait peut-être soulevée derrière le Defensor Civitatis mais un bain de sang aurait pu aboutir à la déportation de la totalité des Juifs romains.
L’action du pape en faveur des Juifs a donc été réelle et incontestable, il n’est plus possible d’en douter
Benoît XVI qui signa le décret reconnaissant les vertus héroïques de Pie XII et de Jean-Paul II le 19 décembre 2009 avait prononcé un discours le 18 septembre 2008 devant la fondation Pave the Way dans lequel il revenait sur les travaux des historiens en rappelant à propos des Juifs que Pie XII « ne s’épargna aucun effort pour intervenir en leur faveur soit directement soit au travers d’instructions données à des institutions de l’Église catholique ». Une déclaration urbi et orbi dénonçant l’entreprise d’extermination des Juifs aurait-elle été possible et souhaitable ? Rien n’est moins sûr dans la perspective qui était celle du Pape : sauver le plus possible de vies humaines. Une dénonciation explicite aurait alimenté l’idéologie hitlérienne prétendant faire la guerre à la « juiverie internationale » évoquée à plusieurs reprises dans les discours du Führer à des moments charnières du conflit.
Le Saint-Siège n'a pas favorisé la fuite de criminels nazis vers l’Amérique latine
Cette rumeur a été popularisée par un journaliste hongrois, Ladislas Farago dans son livre Le IVè Reich (1975) et encore plus récemment par le film Amen de Costa Gavras (2002), dans le but de soutenir la thèse d’un Vatican clérico-fasciste agissant pour restaurer une Allemagne forte en Europe par peur du communisme. Cette interprétation largement révisée par les travaux du jésuite américain Robert Graham (1999) et par ceux de l’historien italien Matteo Sanfilippo (1999) s’appuie néanmoins sur quelques faits avérés localement : l’action de quelques ecclésiastiques hongrois, croates (en faveur de l’exfiltration de leurs compatriotes souvent compromis avec les régimes fascistes) ou de l’évêque autrichien Mgr Aloïs Hudal, ancien recteur de Santa Maria dell’ Anima, l’église de la communauté allemande de Rome.
Dans le contexte de la débâcle générale de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, bourreaux et victimes ont souvent été confondus. La Croix-Rouge a notamment délivré par erreur des passeports à des criminels nazis tels que Eichmann, Barbie, Mengele ou Priebke. Une commission pontificale sous la responsabilité de Mgr Montini (futur Paul VI) fut organisée pour venir en aide aux personnes déplacées. Mgr Hudal prit en charge un comité autrichien de Rome et vint en aide à des ressortissants autrichiens ou allemands parmi lesquels se cachèrent d’anciens nazis. Avant la guerre, ce prélat auteur d’un livre intitulé Les fondements du national-socialisme (1936) rêvait d’une possible conciliation entre nazisme et catholicisme. Fortement critiqué par Pie XI, trop compromis pour ses sympathies philonazies et marginalisé au Vatican, il agissait le plus souvent en abusant de ses titres et fonctions. La plupart des historiens estiment cependant que ni Pie XII (qui considérait que les crimes de guerre devaient être punis), ni Mgr Montini n’ont sciemment couvert l’exfiltration de criminels nazis ou fascistes.
Aucun moyen diplomatique ne pouvait être efficace contre les barbaries du XXème siècle
L’historien ne peut que constater, en regardant la face obscure du XXème siècle qu’aucun moyen diplomatique ou autre ne s’est avéré efficace pour empêcher ou enrayer des entreprises génocidaires, qu’il s’agisse de l’extermination des Arméniens et des Assyro-Chaldéens par le régime turc en 1915 durant la première guerre mondiale, de la famine planifiée par Staline en Ukraine en 1932-33, de l’extermination des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994. Dans chacun des cas, des informations ont été rapportées mais la volonté politique ou la possibilité d’intervenir n’ont pas abouti. Ces exemples doivent nous inciter à l’humilité et à la prudence au regard de l’attitude de Pie XII qui était très conscient de ses devoirs et des faibles moyens dont il disposait.
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