À l’origine de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, il y a un assez extraordinaire « vœu national ». Dans les circonstances très difficiles des années 1870 (guerre avec la Prusse, échec de Sedan, fin des États Pontificaux, question sociale, etc.), ce vœu traduit une prise de conscience religieuse et un élan spirituel extrêmement fort, qui conduiront à la construction et à la consécration de la Basilique, en 1919.
La défaite de Sedan et les événements de 1870 provoquent une forte réaction spirituelle et morale
En 1870 et dans les mois qui suivent, des pans entiers de l’ancien monde s’écroulent : défaite de Sedan face aux Prussiens, fin des États pontificaux, invasion étrangère, défaite définitive de la France. Devant ces troubles majeurs, l’intuition fondamentale d’Alexandre Félix Legentil et à sa suite de Hubert Rohault de Fleury, à l’unisson de bien d’autres catholiques de l’époque, est qu’il ne faut pas simplement organiser des élections, continuer le combat, faire de la diplomatie – il faut aussi une réaction spirituelle et morale.
Dans les victoires il faut rendre grâce à Dieu, et dans les défaites il faut demander pardon
Les deux laïcs qui mènent le projet entrent dans cette logique qui traverse les siècles et qui, toute proportion gardée, a traversé la Bible : dans les victoires militaires il fallait rendre grâce à Dieu et dans les défaites demander pardon. Ce sont le Te Deum et le Miserere. Dans le Te Deum comme dans le Miserere, il est bien entendu que ce qu’ils visent, c’est le salut éternel, et la conversion. Il ne s’agit pas d’une quelconque action de grâce ou d’une pénitence nationalistes. La visée est la morale, et le salut, à l’occasion d’une défaite ou d’une victoire.
Les deux laïcs qui portent le projet comprennent la nécessité de dépasser les clivages politiques
Au-delà de leur vision théologique de l’histoire, ces hommes ont une vision politique et sociale de leur temps – et ils veulent un sursaut, une réforme, intellectuelle et morale, qu’ils soient légitimistes ou orléanistes. Ils ont dès l’origine conscience de la nécessité de transcender les options politiques. Ils veulent associer largement à leur action sociale une action religieuse de prière, de pénitence et de témoignage de leur foi. Ils veulent faire une œuvre pastorale, au service des pauvres ! Dans le comité de construction du vœu national, ils ont pris sur eux pour dépasser leurs options politiques – et la question latente de l’époque : comte de Chambord ou comte de Paris ? L’archevêque de Paris, Monseigneur Guilbert, leur emboîte alors le pas, afin de faire de la construction de ce sanctuaire une « œuvre chrétienne et patriotique ». La forte personnalité d'Alexandre Legentil dans le paysage catholique parisien et ses nombreuses relations font que le projet acquiert vite une dimension nationale.
Un temple expiatoire pour les dérives morales de l’époque – et d’abord celles du Second Empire
La basilique est donc construite comme une temple expiatoire. Mais attention ! Contrairement à ce que l’on croit souvent, les dérives qu’il s’agit d’expier, ce sont d’abord celles du second empire ! Car la Commune ne fait qu’ajouter une couche supplémentaire, dans l’esprit des fondateurs. Un fait marquant symbolise cette volonté. Alexandre Legentil s’est demandé, au tout début de son initiative en début 1871, s’il ne devait pas transformer le chantier de l’opéra lui-même en temple expiatoire. Le père de Hubert de Fleury, Charles Rohault de Fleury, grand architecte de la monarchie de juillet et ensuite du second empire, va jusqu’à montrer dans un croquis comment l’Opéra pourrait être transformé. C’est que l’Opéra pouvait porter comme un stigmate tout ce qui allait à l’encontre de la morale chrétienne dans la société de l’empire : non-respect du mariage, non-respect des pauvres, non-respect du dimanche, etc. Cette société bourgeoise, qui aurait tout sacrifié à la vie économique, aurait induit par ses péchés publics tout ce qui a suivi. L’opéra, encore en chantier, aurait été transformé en temple expiatoire pour une France rechristianisée – mais finalement, c’est à Montmartre que le projet a été déplacé.
Le vœu national a été rédigé avant l’insurrection de la Commune
Chronologiquement, la Commune ne vient donc qu’après. Le vœu explicitant la volonté de fonder la Basilique a été rédigé dès le 2 décembre 1870 – avant donc les grandes heures de la Commune. C’est l’énormité de ses initiatives sécularistes et anticléricales et l’exécution des otages (dont l’archevêque de Paris, Monseigneur Georges Darboy) qui a fait tomber dans l’oubli cette vérité historique.
Le vœu du 2 décembre 1870 concentre en un texte puissant ces motivations
Ce qui résume le mieux ces motivations, c’est ce texte important, toujours gravé sur un mur de la Basilique : « En présence des malheurs qui désolent la France, et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore ; en présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l'Église et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ ; nous nous humilions devant Dieu et, réunissant dans notre amour l'Église et notre Patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés.
Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l'infinie miséricorde du Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le souverain pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France, nous promettons de contribuer à l'érection à Paris d'un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus. » .
Après l’élan initial, les étapes se sont succédé – choix du lieu, vote à l’Assemblée Nationale – jusqu’à la dédicace du lieu de culte en 1919
L’opéra, puis les hauteurs de Belleville où des exécutions d’otages ont eu lieu, ont successivement été envisagés. Mais en automne 1872, l’archevêque a un coup de cœur providentiel pour la butte Montmartre. On évoque alors le martyr de Saint Denis – Montmartre, après tout, serait le Mont des Martyrs.
Le 24 juillet 1873, après des débats houleux, l’Assemblée Nationale vote par 382 voix sur 734 une loi qui déclare d’utilité publique la basilique, permettant ainsi que le terrain soit affecté à la construction d’une église. D’emblée, la basilique a été utilisée comme lieu de pèlerinage pour prier pour la France et le pour pape – et cela dès avant la fin de l’édification, puisqu’une chapelle provisoire est rapidement bâtie pour accueillir les pèlerins. La consécration a lieu en 1919.
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Je me permets d'ajouter une autre précision sur l'environnement spirituel de la Basilique, ce sont les Auxiliaires du Coeur de Jésus, orienté(e) sur la dévotion au Coeur Immaculé de Marie et au Coeur glorieux de Jésus auxquel(le)s ils et elles sont consacré(e)s. La maison source est située rue Becquelel, tout près de la Basilique. Leur spiritualité consiste, à travers l'abandon à la volonté de Dieu, à vivre avec Lui, pour Lui, en Lui, et faire tout pour la gloire de Dieu, être hosties de louange.
Cher Monsieur Benoist, puuvez-vous me dire qui est l'artiste des vitraux de la basilique Sacre Coeur (après la seconde guerre mondiale)? cordialement Iris Nestler